Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — Vrayment je l’aurois bien accepté si j’avois cru que cela dust avoir de la suite, mais vous ne le disiez pas et, au contraire, j’aimerois beaucoup mieux estre icy à cheval qu’en calèche. » Elle répliqua : « — Oh ! pour à ce point-là, cela n’auroit rien changé. Je ne vous aurois pas laissé aller au milieu d’une cohue comme celle qu’il y a icy, quand même vous monteriez à cheval depuis plus longtemps. » Je dis : « — Cela estant, avoir commencé un mois plus tôt ou plus tard est assez indifférent. »

Je n’avois pas perdu mon goust pour accuser des maux que je n’avois point. Je ne parlois plus de maux dont j’avois parlé à Paris et pendant que j’y estois, mais je prétendis avoir la migraine. Ma mère y estoit sujette. Elle se douta qu’il y avoit de la feinte et m’empescha de manger en me laissant à table. Cela réussit très bien pour me corriger.

Dans ce temps-là, je dis entre mon retour à Versailles et la mort[1], on sépara mes deux sœurs aînées qui estoient à Chelles. L’aînée, nommée Mlle de Chartres, ou Mademoiselle tout court, depuis le mariage de M. de Berry, demeura à Chelles, et la cadette, Mlle de Valois, vint au Val de Grâces d’où on la faisoit venir souvent à Versailles. C’est aujourd’huy Mme la Duchesse de Modène ; comme elle n’a que trois ans de plus que moy, on se servit d’elle pour me tirer ce qu’on commençoit à soupçonner que les maux pour lesquels on m’avoit traité à Paris estoient fictifs. Elle m’engagea à faire le même aveu à Mme la duchesse Sforce[2], fille de Mme de Thiange, sœur de Mme de Montespan et, partant, cousine germaine de ma mère, quoyque cela ne se dist point ; en conséquence, vivant avec elle dans la plus grande intimité, dînant tous les jours avec elle et se meslant de Mlle de Valois et de moy comme si elle avoit esté nostre gouvernante. Cet aveu fut fait aussy à ma mère qui me promit le secret pour M. de Court et l’abbé Montgault, et il fut gardé.

Ce fut dans ce même temps qu’estant allé à Marly, je crois en 1715, faire ma cour au Roy, dont la santé commençoit à s’altérer, mais je n’en savois rien, il me demanda si je serois bien aise d’estre roy. Je répondis : « — A Dieu ne plaise, Sire, que je pense jamais à cela, je serois trop fâché de tout ce qu’il faudroit qu’il arrivast pour cela. » Cette réponse fit un grand bruit à

  1. Sans doute de Louis XIV.
  2. Voir dans Saint-Simon le portrait si flatteur de la duchesse.