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sois là tranquillement et raisonnablement. On entendoit, aux environs de Versailles, le canon du Quesnoy et de Landrecies. La France estoit à deux doigts de sa perte. On disoit que Louis XIV, quoique âgé de soixante-quinze ans, vouloit se mettre en personne à la tête de ses troupes, qu’on transporteroit le Dauphin dans un lieu plus éloigné de la frontière que Versailles. Cela émut mon petit génie et commença à me faire informer des nouvelles publiques.

La séparation des Anglois d’avec les autres alliés, l’affaire de Denain qui sauva le royaume, furent des événemens sur lesquels je parlois et entrois en conversation, comme y prenant part. Mon estude avoit esté réglée dès le commencement à quatre heures par jour. Mes infirmités faisoient que, souvent, elle manquoit totalement, ou que le temps s’en passoit en conversation ou en lectures d’amusement. Cependant, pendant les deux années de santé que j’avois eues, je n’avois pas laissé de profiter. L’abbé Montgault ne m’avoit point appris la grammaire latine, mais aussytost que je sçus décliner et conjuguer, il se mit à expliquer. Il écrivoit sur un papier plié les mots que je ne savois point et me les faisoit apprendre par cœur avec leurs significations. Outre le latin, il m’apprenoit l’histoire, la géographie, le blason. Tout cela estoit pris sur les quatre heures d’estude, par conséquent il y avoit peu de temps pour le latin. Lorsqu’il me faisoit voir un autheur difficile pour moy, il m’expliquoit d’abord ce que j’en devois voir dans ma leçon en me faisant remarquer la construction, et ensuite j’expliquois.

Lorsqu’on reprenoit le même autheur, j’expliquois d’abord. J’estois venu, par cette méthode, à entendre du Térence assez aisément pour le gouster. Je donnois quelques fois le ton à la première lecture et, quand je le donnois juste, il me disoit : « — Passez, Monseigneur, vous entendez, » ce qui me faisoit un singulier plaisir. Quand je donnois le ton faux, il me faisoit expliquer.

On m’envoya à Paris sur la fin de 1712, et j’y passai, je crois, toute l’année 1713. Lorsque j’estois à Versailles, on me menoit, le Vendredy Saint, à l’office dan3 une tribune de la chapelle. A Paris, on fut embarrassé de me mener dans une église à cause de ma délicatesse, moyennant quoy je passai le Vendredy Saint sans entendre la messe, et les autres jours solennels je n’entendis qu’une messe basse. Ils n’étoient distingués des jours