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Par l’arrangement de ce repas, je me trouvai entre mon père et Mme la Duchesse ; mon père ne se mesloit point de mon éducation et ne savoit point les attentions que ma délicatesse rendoit nécessaires sur ma nourriture.

Il me laissa manger tout ce que je voulus et je me donnai une indigestion très forte. Quelque temps après ma mère me mena dîner avec elle à l’Estoille, petite maison qu’elle avoit dans le parc de Versailles. Elle avoit le projet de ne me laisser manger que ce qui convenoit pour ma santé, mais comme mes gouverneurs ne pouvoient, à cause de son rang, manger avec elle, les attentions ne furent pas poussées aussy loin qu’il falloit et, cette seconde indigestion succédant à l’autre, ma santé en fut notablement altérée. Il s’y joignit une espèce de vapeurs noires qui me porta à accuser des maux que je n’avois point. On me fit beaucoup de remèdes et, comme je déguisois mon état, que j’y ajoutois des circonstances qui n’estoient point et qui le faisoient paraistre plus grave qu’il n’estoit réellement, peut-être cela fut il cause qu’on me donna des remèdes qui ne convenoient pas à mon estat ; ce qu’il y a de constant, c’est que je m’affaiblis alors notablement. M. de Court avoit fait demander au Roy, par mes parens, la permission d’accommoder, pour mon amusement, un massif entouré de treillages qui estoit derrière le bosquet de l’arc de triomphe.

Il le fit accommoder sur l’argent que mon père me donnoit pour mes menus plaisirs. Je n’avois aucun goust de dépenses et je ne m’informois point de ce que devenoit cet argent qui estoit, je crois, 700 livres par mois.

Il me fit faire une besche, une pioche, un râteau, une brouette proportionnés à ma taille et à ma force. Je m’amusois beaucoup à user de ces outils avant que d’estre incommodé, mais, lorsque je le fus, je m’y apperceus moy même que mes forces diminuoient. Je remarquois avec chagrin que je ne pouvois plus traîner la brouette aussy chargée que j’avois fait quelque temps auparavant. Cela ne me fit point prendre le parti de cesser la feinte que je meslois dans ma maladie.

Je ne connoissois point le mal que je me faisois à moy même. Pour me fortifier, on avoit cherché à me faire faire autant d’exercice que j’en pouvois supporter. Cela m’avoit esté agréable. On le retrancha. Ce retranchement me le fut aussy. M. de Court me faisoit asseoir dans mes promenades, et je eau-