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qu’il falloit. Cela auroit pu marquer de la disposition pour le calcul, mais cela ne s’est pas soutenu. Je n’ay point, sur cet article, de talent particulier.

A cinq ans et demi, on m’osta ma sous-gouvernante et l’on me donna M. de Longepierre, connu par plusieurs ouvrages de poésie, quoyque de bel esprit et portant l’épée[1]. Il m’amena, au bout de peu de jours, un précepteur, M. l’abbé Le Brasseur.

On commença alors à m’apprendre à lire, ma religion, l’histoire sainte. J’avois assez de goust pour ces deux messieurs, mais on me les osta au bout de six mois. M. l’abbé Le Brasseur a élevé plusieurs des enfans de M. le chancelier d’Aguesseau.

On me laissa pendant quelque temps, je crois six semaines ou deux mois, avec mes femmes, sans personne pour prendre soin de mon instruction, ensuite on me donna messieurs Frémont. Mon père les connaissoit parce qu’ils avoient été sous M. de Saint-Laurent qui avoit pris soin de son éducation.

Ils avoient des lettres et de la piété, mais nul usage du monde, ce qui fit qu’ils se donnèrent beaucoup de ridicules à Versailles où l’on me mena alors.

Ma compagnie la plus ordinaire estoit des pages. Au mois d’avril 1710, on me donna pour précepteur l’abbé Montgault. Il avoist esté Père de l’Oratoire et y avoist esté élevé à l’ordre de la prestrise. Il en estoit sorti à cause de son mauvais estomach, sans nulle autre cause, selon que me l’a asseuré plusieurs fois le P. de la Tour. Il fut indiqué à mes parens par le P. du Trévoux, jésuite. Il estoit réellement capable de son employ, il savoit bien le latin, le grec, même un peu d’hébreu et avoit l’esprit singulièrement aimable en conversation. Je ne savois pas encore lire couramment lorsqu’il vint auprès de moy, aussy on peut dire qu’il a commencé et achevé mon instruction. On m’avoit laissé deux femmes qui me servoient dans la maison et ne me suivoient plus lorsqu’on me menoit promener. Dans les temps où j’estois avec elles, je leur racontois des histoires comme m’estant arrivées qui n’avoiont pas l’ombre de vérité, même de vraisemblance ; je les appellois mes imaginations. J’aurois volontiers babillé tout le jour de cette manière, si l’on ne m’avoit fourni d’autres amusemens et occupations. Lorsque je racontois des

  1. On a de luy les idylles de Théorrite traduites en vers françois par Bern, de Hecqueleyre, baron de Longepierre, 1688. Ce titre annonce qu’il étoit gentilhomme. Je n’en sais pas davantage.