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desserre l’étreinte dans laquelle elle a essayé d’étouffer la Russie, son effort se portera ailleurs : mais où ? Nous venons de voir que quelques-uns de ses soldats, hier encore en Pologne, combattent aujourd’hui contre nous en Champagne. Enfin, ce que nous annoncions il y a quinze jours se réalise : les Allemands sont entrés en Serbie. Et cela nous ramène aux Balkans. Un drame nouveau s’y engage. Il a eu en Grèce un contre-coup immédiat : à la mobilisation bulgare a répondu la mobilisation hellénique. La Grèce s’en tiendra-t-elle là ? Le pourra-t-elle longtemps ? M. Venizelos a porté sur l’avenir un regard prévoyant et, une fois de plus, il a tenu le langage d’un homme d’État véritable : mais il a trouvé de nouveau devant lui l’opposition du Roi comme un obstacle, et il a donné sa démission. C’est ce dont nous avons à parler et nous tâcherons d’y mettre un peu d’ordre.

On a critiqué beaucoup notre politique à l’égard de la Bulgarie. La critique est aisée, surtout après coup. On reproche à notre gouvernement d’avoir perdu un temps précieux auprès du roi Ferdinand, qui devait en fin de compte se tourner contre nous et qui, peut-être, était depuis longtemps déjà engagé avec nos adversaires. Mais que ne dirait-on pas, si, cédant par avance à la fatalité des événemens, il n’avait rien fait pour retenir la Bulgarie avec nous, ou pour essayer de le faire ? Cela n’a pas réussi, nous le savons de reste maintenant, mais ne fallait-il pas le tenter ? On dit que nous avons inquiété la Serbie, la Grèce, la Roumanie, en leur demandant de faire des concessions qui devaient leur être pénibles, et dont la suggestion leur est restée sur le cœur, même lorsqu’elles ne l’ont pas suivie. Dans toute politique, il y a des inconvéniens ; mais, pour en juger justement, il faut les comparer à ceux qui seraient résultés d’une politique contraire. Pouvions-nous, en face d’une Allemagne qui multipliait les promesses à la Bulgarie, nous abstenir vertueusement d’en faire aucune, pour ne désobliger personne ? Nous avons nous-même approuvé qu’on agît sur la Grèce pour obtenir d’elle la cession éventuelle de Cavalla et, en parlant ainsi, nous avons eu le regret de N contrister très vivement nos amis d’Athènes, car la Grèce voulait bien prendre, mais elle ne voulait rien céder, ce qui est d’ailleurs un sentiment très naturel. Tout cela appartient au passé : l’attitude de la Bulgarie nous en a libérés pour toujours. Advienne que pourra. Nous aurions voulu épargner aux Balkans des commotions nouvelles. Nous avions rêvé, nos alliés avaient rêvé avec nous de rétablir l’union balkanique sur les bases de l’équilibre. L’entreprise était difficile,