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niveau où Hœckel s’est vu saluer comme un philosophe et Nietzsche comme un prophète, En théologie, les hommes et les œuvres de la période récente nous font voir, au total, les traits caractéristiques de ce que les Allemands eux-mêmes ont coutume d’appeler des épigones, — c’est-à-dire d’une génération succédant à des héros et se bornant à suivre leur trace. »

Certes, j’adhère entièrement à l’affirmation que « les Allemands ont creusé une empreinte, — et souvent une empreinte très profonde, — dans tous les domaines de la vie et du travail de l’esprit humain. » Mais, à la lumière de ce que je viens de dire, l’on verra qu’il est injuste de représenter notre livre comme un panégyrique passionné et partial de la nation allemande.

Je regrette seulement que le livre n’ait pas contenu un chapitre consacré au Caractère allemand. Dans son esquisse, calmement objective, de l’Histoire des Allemands, le professeur Lodge par le de la dégénérescence morale qui les a conduits, de nos jours, « à dédaigner les obligations des traités, à fouler aux pieds un voisin plus faible qu’ils étaient tenus de défendre, et à pratiquer la guerre avec une brutalité cynique, sans tenir compte des longs efforts de la civilisation. » Dans mon propre article, j’ai noté combien il était curieux que « la même race eût produit des exemples classiques de la brute là plus grossière et de l’idéaliste à l’âme la plus haute et au cœur le plus chaud. » Que si j’avais écrit mon article six mois plus tard, j’aurais encore ajouté que je ne m’étais point douté, jusque-là, du nombre des brutes survivantes parmi les 62 millions d’Allemands, et que décidément je commence à reconnaître que, malgré quinze siècles de contact avec la civilisation, il reste au fond du caractère allemand un héritage considérable de l’ancienne brutalité des âges barbares.

Mon principal motif pour souhaiter l’insertion de la présente lettre dans votre Revue est mon désir d’effacer une impression qui risquerait de résulter de l’article de M. de Wyzewa, et qui consisterait à croire que l’Ecosse se montre tiède pour la poursuite de la guerre. Il y a dans notre pays des divergences d’opinions touchant le rôle joué par l’Allemagne dans l’histoire de la civilisation : mais l’unanimité est complète quant à notre devoir envers nous-mêmes et envers nos Alliés dans le conflit où nous avons été jetés par l’arrogance et l’avidité de l’Allemagne. Aucune autre région de la Grande-Bretagne n’a plus cordialement approuvé notre participation à la guerre que l’Ecosse, qui garde fidèlement le souvenir de son ancienne amitié avec la France, et se réjouit de revivre l’ancienne fraternité d’armes, dans l’effort commun pour résister à un agresseur criminel.

Cette altitude patriotique des Écossais est également celle des auteurs du recueil sur la Civilisation allemande : et ceux d’entre eux qui ont des fils en âge de servir les ont donnés de grand cœur pour la défense de la cause sacrée. L’un de ces écrivains écossais que M. de Wyzewa assimile à la clique insignifiante des pacifistes a l’espoir de visiter bientôt Neuve-Chapelle pour y voir l’endroit où l’un de ses fils a été tué, et de monter sur la colline des Flandres où un autre de ses fils a reçu une grave blessure. A quoi je puis ajouter que le Sénat de l’Université d’Edimbourg, — à laquelle se rattachent plusieurs des collaborateurs du recueil, — s’est trouvé unanime à prier le premier ministre de prendre toutes les mesures nécessaires