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mais comment empêcher l’Allemand de satisfaire à la fois son besoin inné de « classement » social et cet autre besoin, plus puissant encore, de sa nature qui le porte à vouloir se gagner la faveur du prochain en s’agenouillant, quasiment, devant lui ? Un jour, pourtant, mon ami avait tenté un effort pour l’en empêcher. À certain maître de restaurant bavarois qui, désireux peut-être de se singulariser, avait pris l’habitude de l’appeler Herr Graf, il avait déclaré qu’il n’était nullement « comte, » et n’éprouvait nul plaisir à [être gratifié de ce titre ; sur quoi, le Bavarois s’était incliné humblement, la mine repentante, et puis, le lendemain, il avait accueilli mon ami en l’appelant Herr Baron !


Mais en même temps qu’il travaille ainsi à la rendre agréable par le moyen de cette politesse dont il l’orne au dehors, le maître d’école allemand travaille surtout à façonner et à assouplir la jeune « machine » humaine qu’il a reçu mission d’offrir à son pays ; et l’un des procédés principaux qu’il y emploie est toujours, comme je le disais, de substituer à la volonté libre et personnelle de l’élève un nombreux appareil d’habitudes qui le dispenseront de sentir ou d’agir par lui-même, tout au long de sa vie. Dès le début et jusqu’au terme dernier de son enseignement, il lui présente celui-ci sous l’espèce d’une suite continue d’ordres formels et indiscutables, sans jamais faire appel à autre chose en lui qu’à ce même instinct de docilité et comme d’humiliation extérieure de soi dont je parlais il y a un instant. Une absence complète de collaboration de la part de l’élève : tel est bien, je crois, le trait distinctif du système pédagogique allemand. « Tu dois ! » le système entier repose sur ce seul mot. Écoutons encore, là-dessus, le précieux témoignage de M. Thomas Smith :


L’enfant doit aller à l’école, il doit apprendre, il doit être docile et rangé ; bref, il doit obéir. L’État allemand est un père plein de rigueur. Au lieu de raisonner avec son enfant, il se borne à lui dire : « Tu dois aller à l’école, car c’est par laque tu deviendras un bon citoyen pour mon [plus grand profit, — et pour le tien propre, par-dessus le marché ! Tu dois servir dans l’armée, afin de te trouver à même de me défendre ! Tu dois mourir pour moi, si je veux que tu le fasses !


Quant au cœur de l’enfant, il est encore moins consulté et moins apprécié que sa tête, dans ce grand système entièrement fondé sur l’obéissance. C’est au point que, si nous en croyons M. T. Smith, la grande majorité des enfans d’outre-Rhin conservent, de leur séjour à l’école, un souvenir à peine moins amer que celui qu’ils