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à Paris pour s’amuser et, rentrée chez elle, nous dénigrer tout à son aise, est plus maîtresse dans nos théâtres que nous-mêmes. Elle dépense sans compter ; c’est elle qui est cause de la folle augmentation du prix des places, elle a ainsi expulsé peu à peu la clientèle française qui se recrutait en majorité dans la classe moyenne où l’on est forcé à l’économie. Elle compose, en grande partie, ce « public payant » dont les auteurs, les directeurs et même les critiques ne parlent qu’avec respect, et dont il est convenu que les décisions sont sans appel. Elle fait le succès parisien. Reste à décrocher le succès mondial. Car une pièce est un article d’exportation : si elle ne part pas pour son tour du monde, l’affaire est manquée. Nous aurons beau la porter aux nues : le suffrage qui compte est celui de l’agent théâtral exotique. Donc elle va, après en avoir déjà subi à Paris le contrôle, retrouver l’opinion étrangère à l’étranger. Pour la contenter, elle n’a qu’un moyen : la refléter. Quand nous nous plaignons, comme je le faisais tout à l’heure, que nos pièces influent sur la façon dont nous jugent les étrangers, nous sommes bons princes. C’est ce jugement qui par avance a influé sur des pièces destinées à lui être soumises. Nos ennemis et quelques neutres sont intéressés à croire que la France est dégénérée : ils vont aux pièces qui peignent une France telle qu’ils la souhaitent. Je crois que sur ce sujet, — et il domine toute la question, — la vérité a été dite par M. Gomez Carrillo qui, dans le Théâtre de demain, tient l’emploi de paysan du Danube, quoique espagnol. « Mais c’est vous, écrit-il, messieurs les auteurs dramatiques, qui avez forcé les étrangers à croire à une France sans grandeur. Maintenant même, en pleine épopée, dans le moment le plus sublime peut-être et assurément le plus héroïque de l’histoire de votre pays, quand le cœur de la nation palpite du même élan magnifique, je ne vois que le théâtre qui continue à tâcher de faire voir une France où, pour mériter la Légion d’honneur, il faut, avant tout, avoir une jolie femme. Car n’oubliez pas que Jalousie de M. Sacha Guitry est une pièce de 1915 et que bientôt elle fera le tour du monde, pour montrer aux hommes d’Amérique, d’Afrique et d’Asie ce que c’est que la France du temps de la guerre. » Il se peut que M. Gomez Carrillo aime beaucoup la France : assurément il n’aime pas nos auteurs dramatiques. Il les tient pour incorrigibles. Il affirme que la dure leçon d’aujourd’hui aura été pour eux non avenue, et qu’ils recommenceront comme par le passé. Nous verrons bien.

Au lendemain de la guerre, nous serons entre nous. Bien sûr les