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ne sont pas toujours un signe ou une cause de puissance économique, et que d’ailleurs les vraies colonies allemandes, ce sont, — hélas ! nous l’avons trop bien vu depuis la guerre, — ce sont… « la France, la Russie, l’Angleterre, l’Italie, l’Amérique, le Brésil, l’Argentine. » Dira-t-on que « l’Allemagne est vraiment trop petite pour nourrir sa population croissante ? » Erreur encore, puisque le nombre des émigrans va en décroissant, tandis que le nombre des immigrans va croissant. « Depuis quinze ans, il est supérieur à celui des émigrans : l’Allemagne est en voie de devenir un pays d’immigration. » Il est donc faux, absolument faux que la guerre actuelle soit motivée par de sérieuses raisons politiques ou économiques. C’est une guerre de conquête, une « guerre impérialiste. »

C’est dire, d’après le publiciste allemand, que l’Allemagne, prise dans son ensemble, n’est point responsable de la guerre que son gouvernement a déchaînée. La guerre mondiale serait l’œuvre abominable du parti pangermaniste qui a réussi à imposer sa volonté aux dirigeans de la politique allemande et à duper le pays tout entier. Sans- innocenter complètement l’Empereur, l’auteur de J’accuse ! lui témoigne une relative indulgence : il veut voir dans ses télégrammes au Tsar, dans les fluctuations de sa diplomatie des traces de ses irrésolutions, de ses luttes intérieures. Il réserve toute sa sévérité, et même tout son mépris, pour M. de Bethmann-Hollweg, dont il relève sans pitié les multiples contradictions, les grossiers sophismes, les déclarations mensongères, et qu’il accable sous la supériorité du « géant Bismarck. » — Il y aurait certes beaucoup à dire sur la moralité politique de Bismarck, dont les « géniales manœuvres » ont été si rarement marquées au coin de la bonne foi. Qui sait s’il n’y a pas plus d’honnêteté foncière dans les maladresses et même dans les mensonges de son modeste successeur ? En tout cas, un Français saura toujours gré à ce dernier de sa fameuse phrase sur le « chiffon de papier, » et, dans son dernier discours au Reichstag, de sa condamnation de la politique de l’équilibre européen. Si M. de Bethmann n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Où il semble difficile aussi de donner raison à l’auteur de J’accuse ! c’est dans son effort pour distinguer entre l’Allemagne pacifique, « la grande majorité » du pays, selon lui, et l’Allemagne belliqueuse. Il s’appuie, pour le prouver, — ou pour