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pas, — et ceci vient à l’appui de ce que j’avançais tout à l’heure à propos du mode même du roman, — ils ne lui suffirent pas pour exprimer complètement le Maroc, puisqu’il jugea ensuite nécessaire, pour dessiner certaines existences, certains côtés, certains dessous, certains bas-fonds, mêlés d’autre part à des héroïsmes et à des énergies, de les mettre en œuvre par un roman, le Conquérant, dont plusieurs silhouettes s’annoncent déjà, s’amorcent, si l’on peut dire, dans Gens de guerre au Maroc.

Mais aux amateurs de notations directes, dépouillées de toute verve imaginative, Gens de guerre au Maroc offre un morceau de choix. La beauté, la justesse des descriptions, tour à tour poussées avec vigueur ou alanguies de rêve, de charme, traversées de frissons subtils, ont enchanté tous ceux qui les ont lues. Les ouvrages, les ouvrages de maîtres, abondent sur ces pays de féerique lumière. Sitôt qu’on y pense, les pages de Loti et de Fromentin, pour ne prononcer que deux noms très célèbres, se lèvent dans les mémoires et rendent sévères pour les audacieux qui se résolvent à marcher sur leurs traces. Tout en gardant son accent propre, bien à lui, Nolly procède, je trouve, tantôt de l’un, tantôt de l’autre de ces deux inimitables devanciers qu’il est si difficile, je ne dis pas de surpasser, bien entendu, mais de jamais égaler.

Comme eux, il a vu la dune rougeâtre aux contours tremblans dans l’air qui vibre et brûle, les roches rutilantes sous le poudroiement d’or du soleil en fusion, les cités éclatantes, aux toits plats en terrasse, tentatrices pour qui les aperçoit au loin en cheminant dans la fournaise de sable et contemple, ébloui, la ceinture de leurs murailles aux tons chatoyans et les minarets de leurs mosquées, envie leurs ruelles fraîches, pleines d’hommes et d’animaux grouillant, criant, se bousculant devant les marchands graves assis, impassibles, dans leurs niches.

Comme eux, il a décrit les jardins enchantés où, étendu sous les végétations folles, sous les arbres en fleur, l’on écoute, béat, le bruit de l’eau qui coule dans les vasques. Comme eux il a tressailli à ces musiques étranges qui s’élèvent soudain, un soir, dans un quartier écarté de ville arabe, derrière des cloisons impénétrables à l’Européen, au roumi ; comme eux, il a été ému par ces chants bizarres en qui toute la douleur humaine semble enclose et qui s’exhalent dans la nuit au ronflement étouffé des tambourins, aux trilles discrets des flûtes.