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charmant, ce qui disposa en sa faveur le cœur de Christian G. Körner. Elle devait être la mère de Théodore, cet enfant de sa douleur éternelle ; mais Christian commença par tourner pendant quatre ans des sonnets discrets et désespérés à la manière d’Arvers, sans oser demander la main de cette Minna et il vécut ainsi dans cette bonne maison d’artistes, toute sonore de musique, avec la perpétuelle terreur que son père ne découvrit cet aimable commerce. La mort de l’honnête veuve Stock qui laissa les filles orphelines, décida enfin le fils timoré à affronter la majesté paternelle. Ce fut une chose affreuse. Le Théologien, frémissant sous sa perruque à marteaux, refusa indigné en appelant la jolie fille du graveur une mamsell, ce qui pour lui était le comble de l’injure. Christian, ne se déclarant point vaincu, essaya alors d’attendrir son père en lui offrant pour sa fête le portrait de sa fiancée. C’était un tableau délicieux de Graff, un des peintres les plus réputés de l’époque, d’où les grands yeux de velours sombre, un sein ému semblaient demander grâce à l’inexorable bourgeois. Mais la conception de l’enfer avec ses diaboliques séductions hantait alors si bien le cerveau du vieil homme, qu’en un mouvement barbare de moine ascétique il saisit son rasoir et lacéra l’image. La détachant du cadre, il jeta la toile dans un coin de son cabinet en criant qu’on ne s’avisât plus jamais d’outrager ses bonnes mœurs avec des visions aussi impudiques. Le projet fut encore une fois remis, car la volonté paternelle était un oracle et les jeunes malheureux, tantôt séparés, tantôt réunis furtivement, continuèrent à espérer. Mais un nouveau venu dans le cénacle de cet humble Parnasse créa une si puissante atmosphère, que l’on oublia pour un moment les rigueurs de la théologie. Ces quatre amans de la maison Stock, enthousiastes des temps nouveaux annoncés par la France et que promettaient les Brigands de Frédéric Schiller, adressèrent de loin à ce dernier un hommage collectif plein d’ardeur débordante. Le poète, que la Convention nomma plus tard citoyen d’honneur de la République, répondit spontanément à cet appel, et Christian édifia déjà, dans les premiers rapports épistolaires avec Schiller, un monument à l’Amitié qui, dans le courant idéaliste de l’Allemagne d’alors, n’était point une exception. Körner attendait de cette conception de l’amitié les plus heureux résultats et il ne fut point déçu avec un tel homme. « Chacun des amis, écrit-il,