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Ce que Novalis fait dire au héros d’un de ses drames devint bientôt une réalité : « Les guerres nées d’une violente haine de race sont les seuls vrais poèmes. » La guerre et la haine étaient devenues la poésie tout entière et un poète-soldat était « un ambassadeur de Dieu. » Les Allemands ont toujours témoigné, dit Goethe avec sa finesse ironique, « à des talens qui ne faisaient que promettre une dévotion particulièrement fervente. » C’est celle qui se réveilla, l’année avant la guerre actuelle, pour Théodore Körner.


L’Allemagne vivait depuis près de cent quarante ans dans l’ignorance de ce qu’elle devait à la culture française ; elle n’avait retenu de ses rapports avec la France que la dévastation du Palatinat dont elle se souvenait avec obstination. En réalité, on ne saurait assez dire combien sa dette était grande. La révocation de l’édit de Nantes donna à la Prusse 70 000 Français auxquels le Grand-Electeur désigna tout de suite le cadre de leur activité. Mais cette élite, amenant dans ces sables l’acquis séculaire de son génie créateur, régénéra le rouage entier de la vie sociale, l’armée et l’administration, les sciences, les arts, les métiers. Cette œuvre immense tira le Nord germanique de sa primitive barbarie, et l’esprit et les mains françaises jetèrent ainsi les premières bases de la Prusse dont le développement rapide ne s’explique point sans ce concours.

Mais dans le reste de l’Allemagne, dans la Saxe du Centre et dans le Sud, une autre France devait jeter, dès l’aurore du XVIIIe siècle, de fortes racines. Cette atmosphère de sensibilité et d’épicurisme dans l’insouciance, tantôt romantique, tantôt philistine de la vieille Allemagne, on ne pourrait la concevoir sans le marrainage des grâces françaises. Tant que cette Allemagne-là, tout en conservant son caractère propre, vécut sous le charme spirituel de la France, elle demeura aimable et inoffensive. La douceur des mœurs latines avait filtré dans la société. La Prusse seule, avec sa violente individualité, pouvait détruire ces influences.

Le sort de la famille dont nous allons nous occuper subit exactement le même cours que le pays tout entier. En trois générations tout s’est accompli. D’esprit national, on n’en connaissait point. On ne vivait que d’intimités dont les portes étaient