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pas, nous n’eussions pas connu toutes les ressources imaginatives de ce passé musical, ni toute l’étendue du crime de la Prusse envers la culture véritable. Car l’œuvre de Richter représentait, cela est à peine croyable, une naïveté presque enfantine, la touchante humilité devant Dieu et devant les hommes ; un amour profond pour la créature, pour le chef-d’œuvre d’une nature pastorale, pour le chef-d’œuvre des petites villes sonores de cloches et fleuries de géraniums, enfin l’horreur de la guerre et de la violence !

Et cet homme n’était pas une exception. Tout un ensemble de productions dans l’Art et la Poésie témoigne d’un état d’âme semblable au sien. Aujourd’hui, cela nous semble un conte de fée. Et pourtant cela fut. Cet homme n’est pas une fiction. Cette période a réellement existé et, doublant les regrets de ceux qui la connurent, son souvenir rend plus abominable encore ce que nous voyons maintenant.

Le monument de Richter me parut abandonné dans le silence de sa retraite, couché discrètement dans l’écrin vert des buissons. Nul passant autre que moi ne s’y arrêtait, et nulle fleur ne se fanait à ses pieds. Les dernières générations ayant encore vécu dans le sillage de ces inspirations avaient rendu cet hommage à la mémoire d’un fantôme. Mais les générations actuelles courent vers un autre monument, « le Défi cyclopéen, » qui, dans la plaine de Leipzig, menace le ciel de son faux archaïsme et la France de son symbole provocant.

Par un hasard qui rendait plus saisissant encore le contraste entre ce passé et le présent, mes premières courses me conduisirent bientôt à l’autre bout de la ville, devant une école bâtie dans un gothique d’acier où se forgeait l’avenir pangermanique. Si la paix souriait dans les lilas sur la terrasse de Brühl, la guerre régnait ici. Son socle couvert de fleurs et de couronnes récemment déposées, un autre monument perpétuait la mémoire d’un homme que les enfans ne devaient jamais perdre de vue, et qui devait être la hantise de leurs rêves : Théodore Körner le poète de vingt ans, mort pendant la campagne de 1813. La statue, une des plus belles de Dresde moderne, montrait l’auteur de la Lyre et l’Épée drapé dans son manteau et pressant sur son cœur l’épée des chasseurs noirs : elle glorifiait en cet adolescent la poésie de la guerre.

A mesure que j’avançais dans les rues, la figure de ce