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mourant, quelques instans avant de rendre l’âme, lui a pris la main et l’a mise dans celle de l’Impératrice auprès de qui le chancelier serait resté durant plusieurs heures après le décès, afin de l’assister dans sa détresse. Mais Hohenlohe nous donne un récit très différent. D’après lui, peu de jours avant la mort de l’Empereur, le chancelier est venu le voir ; il était très ému. Il a fini par dominer son émotion et s’est retiré en disant « qu’il n’avait pas le temps de faire de la politique de sentiment. » Hohenlohe nous apprend aussi que la veuve ayant fait dire à Bismarck qu’elle désirait le voir, il avait répondu qu’il ne pouvait aller chez elle, étant tenu de se rendre auprès de l’Empereur son maître. Peut-être n’y a-t-il là que des bruits de cour et faut-il considérer de même cette autre rumeur d’après laquelle l’Impératrice se serait hâtée de mettre ses diamans en sûreté en les envoyant à l’ambassade d’Angleterre. Il est remarquable que, dans ces récits, il n’est pas question du prince Guillaume, ni d’aucun membre de la famille impériale. En revanche, ils sont tous d’accord pour constater qu’à peine l’Empereur mort, le château avait été entouré d’un cordon de troupes et qu’on n’avait plus su ce qui s’y passait.

Ainsi se terminait le drame qui se jouait à Berlin depuis que s’était déclarée la maladie de Frédéric. Son fils n’en sortait pas grandi. Dans toutes les cours sa conduite était jugée sévèrement. A celle d’Angleterre, elle avait depuis longtemps excité l’indignation, et le prince de Galles, à l’ordinaire circonspect et modéré, exprimait la sienne en termes violens. Peu de jours avant les obsèques de son beau-frère, auxquelles il devait assister, il était l’hôte du roi Carol de Roumanie à Sinaïa. Située dans un vallon verdoyant, au sein des montagnes, à une centaine de kilomètres de Bucarest, cette jolie petite ville est la résidence d’été de la cour roumaine. Elle contient dans son enceinte le château de Pelés, décoré du nom de château royal, bien que ce ne soit qu’un vaste chalet où habite le Roi et le château de Pelisot, destiné au prince héritier. Durant le séjour que fit le prince de Galles auprès du roi Carol, il ne lui cacha pas le « sentiment de dégoût » que lui inspirait son neveu. Telle était sa colère qu’il craignait de ne pouvoir, une fois à Berlin, en contenir l’éclat et s’empêcher de donner à Guillaume la leçon qu’il méritait. Le Roi eut beaucoup de mal à le calmer.