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Pour finir et comme pour démontrer combien entre ses mains était précaire cette garantie, il ajoutait :

— Mais la paix repose sur l’intérêt de l’Allemagne et cet intérêt peut changer.

On voit, par ces propos que nous recueillons dans des documens diplomatiques encore inédits, qu’à la veille d’un changement de règne, le chancelier raisonnait comme un chef de gouvernement sûr du lendemain. Il avait en effet la promesse du kronprinz Frédéric et il ne doutait pas de la loyauté de cette promesse ni de son exécution. Le kronprinz l’avait faite ; l’empereur Frédéric la tiendrait.

Toutefois, on aurait tort de croire qu’il eût poussé la résignation jusqu’à être prêt à abdiquer entre les mains de son ministre. Si celui-ci s’était flatté de cet espoir, il allait être détrompé et se convaincre que, dans le corps débile et ravagé du nouvel empereur, la volonté restait ferme et entière et qu’il aurait assez de force pour l’imposer. Bismarck en ressentit lus effets, dès leur première rencontre à Leipsig où, sur l’ordre du souverain, il était venu l’attendre avec tous les ministres.

Elle eut lieu le 11 mars. Ce jour-là, sous deux formes différentes, la volonté impériale se manifesta. Ce fut d’abord au profit du ministre de la Justice Friedberg. Il dirigeait l’administration judiciaire depuis le mois de juin 1878. À cette époque, au lendemain de l’attentat de Herr doctor Nobiling sur la personne de Guillaume Ier, qui faillit en mourir, le prince impérial avait été nommé régent de l’empire, son père étant empêché momentanément de gouverner l’Etat. En cette qualité, il avait pris d’importantes mesures, malgré l’opposition qu’y faisait parfois le chancelier, c’est à lui notamment que revenait l’honneur d’avoir renoué avec Rome les relations qu’avait brisées la funeste campagne du Culturkampf. Mais il ne s’en était pas tenu là ; par ses soins, divers changemens avaient été opérés dans le personnel gouvernemental. Jurisconsulte réputé, Friedberg était un de ses amis et il l’avait associé, quoique Juif, au gouvernement, en dépit de Bismarck à qui cette nomination déplaisait, et qui, depuis, se promettait bien de révoquer l’intrus quand la régence prendrait fin. Cette échéance venue, Bismarck ayant voulu donner suite à son dessein, l’Empereur s’y était refusé par égard pour son fils. Friedberg avait conservé son poste. Mais le chancelier s’était vengé sur lui