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n’est pas en adversaire, mais en ami qu’on peut empêcher la Russie de faire un coup de tête. Avec le système contraire, en écoutant les passions anglaises, on irait à grands pas à la guerre et vous pouvez être sûr que je ne m’associerai pas à cette politique.

Après cette déclaration révélatrice des desseins pacifiques qu’il lui convenait de professer ce jour-là, il couronna son monologue par l’éloge du prince Guillaume.

— Je serais beaucoup plus tranquille avec lui, bien qu’on lui reproche d’être bouillant et emporté. Je crois bien qu’on lui ferait plaisir en l’attaquant. Mais je lui ai montré que le suprême bon sens lui commandait de ne pas attaquer lui-même et il n’attaquerait pas.

Ce langage, s’il avait eu pour but de convaincre l’ambassadeur de France des sentimens pacifistes du prince Guillaume et de l’influence que Bismarck exerçait sur lui, ne lui apprenait rien qu’il ne sût déjà. Il ne pouvait se tromper quant à la sincérité, si bien jouée qu’elle fût, de ce pacifisme de commande qu’il savait aussi fragile qu’intermittent. Le 3 février précédent, à la suite du vote par le Reichstag d’une loi militaire, il écrivait :

« Il ne faut pas oublier que les idées pacifiques du prince de Bismarck ne reposent pas sur des principes permanens, mais sur des considérations temporaires d’intérêt allemand. Le vieil empereur et le prince impérial disparus, qui sait si, au lieu de lutter contre le courant belliqueux, le chancelier ne s’y abandonnera pas pour conserver son crédit auprès du nouveau souverain ? Malgré ses efforts pour rassurer l’opinion en Allemagne et hors de l’Allemagne, le prince Guillaume est par tempérament un homme d’action et un homme de guerre. Ses tendances se manifestent dans les plus petits détails de la vie quotidienne. Sur un de ses portraits photographiés qui se trouve chez le comte Radolinski, maréchal de la cour de son père, on lit cette maxime : Oderint, dum metuant. »

Presque à la même date, le 8 février, un toast porté dans un banquet par le prince Guillaume semble confirmer les appréciations du diplomate français. Ce toast tend à rassurer l’opinion en Allemagne ; mais l’homme d’action, l’homme de guerre se révèle dans sa parole et y met malgré tout une note menaçante :