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débarrasser d’un homme dans lequel ils ne pouvaient voir qu’un ennemi. Mais, si tel avait été son dessein, elle n’y pensait plus depuis que l’état de son cher malade s’était aggravé. S’illusionnant encore au point de ne pas désespérer de le sauver, elle voulait qu’il régnât. Mais, non moins soucieuse de ne pas laisser le fardeau du pouvoir peser trop lourdement sur ses épaules, elle était résignée au maintien en fonctions du chancelier, considéré comme le seul homme d’État d’Allemagne capable d’assister efficacement l’Empereur et de pourvoir à son insuffisance.

Et cependant, que de griefs elle aurait eu le droit d’alléguer contre le tout-puissant ministre ! Ne l’avait-il pas gravement offensée d’abord comme épouse en incriminant les opinions humanitaires et libérales du kronprinz et en s’en faisant une arme pour mettre le vieil empereur en défiance envers son fils et envers elle-même ; ensuite comme mère, en poussant le prince Guillaume à se révolter contre ses parens, en s’opposant au nom de la raison d’État au mariage de la fille chérie du ménage Frédéric avec le prince Alexandre de Battenberg, frère du gendre de la reine d’Angleterre, mariage ardemment souhaité par ces jeunes gens et par leur famille ; comme princesse impériale, enfin, en tenant sur elle des propos rnalveillans, presque injurieux, dont la Cour faisait des gorges chaudes ?

Ne disait-il pas d’elle, d’un accent qui trahissait le mépris :

— C’est une Anglaise ! Elle préfère son pays au nôtre !

Ne lui reprochait-il pas d’utiliser au profit de l’Angleterre, contrairement aux intérêts de l’Allemagne, l’ascendant qu’elle exerçait sur son mari, renouvelant contre elle un reproche qu’il avait maintes fois formulé contre l’impératrice Augusta ? Ne devait-on pas croire qu’il les haïssait également l’une et l’autre lorsqu’en parlant à son confident Maurice Busch, il les accusait d’être pour leur époux « un embarras et un fléau ? » En 1885, l’Empereur étant gravement malade, c’est à elles qu’il impute la responsabilité de son état. « Il était déjà souffrant lorsqu’elles ont eu l’heureuse inspiration de l’emmener en voiture à la messe. » S’il a pris froid, c’est donc leur faute. Du reste, Bismarck ne parle de ces deux femmes qu’avec irritation. La princesse impériale n’ignore pas qu’elle et sa belle-mère sont l’objet de son ressentiment parce qu’elles ont osé maintes