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intrigues que déchaînait l’hypothèse de la disgrâce prochaine de Bismarck. Elle s’était imposée déjà à l’esprit de Guillaume Ier. Chez son petit-fils, le futur Guillaume II, elle avait excité au plus haut degré cette hâte de régner qu’on a vue si souvent se trahir chez les jeunes héritiers de couronnes, quand se prolonge indéfiniment le règne du prince auquel ils doivent succéder. C’est pour la résoudre qu’en des circonstances dont l’histoire n’a pu pénétrer et ne pénétrera sans doute jamais le secret, Frédéric, au mois d’avril 1887, à son retour d’Ems, avait été indirectement invité par son père et par son fils, et vainement d’ailleurs, à renoncer à la couronne, et qu’en novembre de la même année, le prince Guillaume, à l’instigation du chancelier, ne craignait pas, comme nous l’avons dit, d’aller à San Remo renouveler sa démarche, sans y mettre les mêmes formes discrètes et respectueuses que la première fois, ce qui déterminait entre sa mère et lui une scène douloureuse, à la suite de laquelle ils allaient rester brouillés. C’est enfin dans le même dessein et avec l’espoir d’être plus heureux que son jeune maître, dans cette négociation contre nature, qu’à la fin de février 1888, le présomptueux Herbert de Bismarck partait pour Londres, chargé, disait-on, de convertir la reine d’Angleterre à l’idée d’une renonciation de Frédéric au trône.

Toutes les cours européennes avaient eu vent de ce drame de famille et, dès ce moment, on n’y parlait plus du prince Guillaume que comme d’un fils ingrat dont les conseils de Bismarck avaient empoisonné l’âme et surexcité les ambitions. Mais on savait aussi que ces diverses tentatives étaient restées sans résultat et que la volonté de succéder à son père demeurait, chez le kronprinz Frédéric, d’autant plus inébranlable qu’elle se fortifiait de celle de sa femme, non moins résolue que lui à régner sur l’Allemagne. On allait jusqu’à prétendre que, si elle tenait à ce que son mari portât la couronne, ne fût-ce qu’un jour, c’était afin de pouvoir, une fois impératrice, se venger du chancelier dont elle avait eu tant à se plaindre depuis que son mariage l’avait fixée à la cour de Berlin.

En prêtant à cette princesse d’aussi bas calculs, on la calomniait. Elle n’était pas femme à sacrifier l’intérêt de l’Empire à l’assouvissement de ses rancunes. Peut-être, avant que la maladie de son mari eût été constatée et déclarée mortelle, s’était-elle flattée, d’accord avec lui, de l’espoir de se