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la seconde guerre de Macédoine, il nous montre le gouvernement romain amené à la rupture avec Philippe par des motifs de pur intérêt, embarrassé seulement de trouver un casus belli à mettre en avant. « Il lui en fallait un, pour l’opinion publique, quoique lui-même, dans sa politique profonde, attachât assez peu d’importance à l’exposé régulier des motifs de la guerre. » Ceci revient à dire qu’il faut de l’équité pour le peuple, en trompe-l’œil, pas davantage ; et c’est peut-être ce qui nous expliquera les contradictions que nous avons pu relever chez Mommsen en ce qui touche la morale internationale : quelquefois il se place au point de vue de l’opinion courante, du préjugé qui appelle mensonge un mensonge, et perfidie une violation des lois ou des sermens ; quelquefois il parle la langue des dirigeans, des forts et des sages, infiniment élevés au-dessus de l’honnêteté vulgaire. — L’autre passage, qui vaut d’être médité, est la réflexion qui suit le récit de la fameuse bataille des Fourches Caudines. On se rappelle les faits : l’armée romaine sauvée de la destruction au prix d’un traité déshonorant, le sénat refusant de ratifier le traité, mais se gardant bien de ne pas utiliser l’armée ainsi rendue. Dans l’antiquité, cette décision avait soulevé des discussions de casuistique, dont on retrouve l’écho dans Tite-Live. Plus hardi, Mommsen n’hésite pas à approuver le sénat. « Humainement et politiquement parlant, les Romains, à mon sens, n’encourent ici aucun blâme. Toute nation tient à honneur de déchirer avec l’épée les traités qui l’humilient. Comment donc l’honneur aurait-il pu commander aux Romains d’exécuter un pacte conclu par un général malheureux, sous la contrainte morale des circonstances ? » Hélas ! les concitoyens de Mommsen n’ont que trop entendu cette leçon, ou plutôt ils sont vite devenus plus savans que leur maître ; ce qu’ils déchirent avec l’épée, ce ne sont pas seulement les traités qui les humilient, ce sont tous ceux qui les gênent. Là est le progrès accompli depuis un demi-siècle. Dans le vieil exemplaire où nous sommes on train de relire l’ouvrage de Mommsen, un lecteur, quelque ancien élève de notre chère et glorieuse Ecole Normale, — de cette Ecole qui paie à cette heure avec tant d’héroïsme sa dette à la France, — n’a pu s’empêcher de laisser par écrit la marque de son indignation : « Du moment qu’on n’acceptait pas le traité, dit-il, il fallait renvoyer l’armée aux Fourches Caudines. » Si Mommsen avait