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En tout pays, il faut craindre « la vanité et la sottise républicaines, » car « tout est possible dans les États où l’assemblée populaire gouverne. » Les choses ne vont pas mieux là où elle ne gouverne pas. Le sénat romain, qui a frappé d’admiration Polybe, Bossuet et Montesquieu, n’en impose pas à Mommsen. Quand la noblesse est la maîtresse, comme après la tentative des Gracques, il affirme qu’elle réalise l’idéal du mauvais gouvernement ; quand elle est menacée par les attaques des révolutionnaires et qu’elle se résigne, il raille son abdication volontaire ; quand elle résiste, il l’accuse de se livrer à des « colères stupides, » de se cramponner à des « vieilleries usées et rouillées. » Et cette fois encore, à travers une aristocratie déterminée, c’est l’aristocratie en général qu’il vise. Il lui découvre deux défauts graves : d’abord, une étroitesse de sentimens qui est « l’apanage de toute caste noble, » et qui l’empêche de s’adapter aux circonstances, d’évoluer, de se réformer ; ensuite, une nonchalance timide qui la détourne des grandes entreprises extérieures. Égoïste au dedans, lâche au dehors, l’aristocratie est donc, pour un peuple d’élite, la pire incarnation qu’on puisse rêver. Mommsen résume ses griefs en disant que « l’histoire du césarisme a tracé de l’aristocratie moderne une critique plus amère que ne saura jamais l’écrire la main de l’homme. » — C’est ainsi que, dans ce conflit qui a divisé si longtemps les nations anciennes, entre la noblesse et le peuple, Mommsen, arbitre impartial à la manière du chat de La Fontaine,


Met les plaideurs d’accord en frappant l’un et l’autre.


Les raisons de cette sévérité à deux tranchans sont bien aisées à reconnaître. Il y en a qui tiennent aux circonstances contemporaines. On a dit spirituellement que Mommsen « poursuivait dans l’aristocratie romaine les hobereaux de la Prusse, » obstacles en ce temps-là à l’absolutisme bismarckien ; on pourrait dire aussi que, dans la démocratie latine, c’est le radicalisme français qu’il hait et qu’il raille. Mais surtout Mommsen est amené à ces violences par la logique intime de son système. Entre les mains d’un sénat ou d’un parlement, comme entre celles d’une assemblée populaire, le pouvoir s’émiette et s’annule. Pour que l’énergie de conquête et de gouvernement, privilège des fortes races, soit toujours tendue au plus haut degré, il faut qu’elle soit tout entière condensée dans un cerveau unique. Après que