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fort long) « les ennemis-nés et les égaux du monde gréco-romain. » Il est évident qu’à ses yeux, ils sont, dès la plus lointaine antiquité, voués à une mission grandiose.

Il s’en faut bien qu’il traite les Gaulois avec autant de faveur. Il esquisse leur portrait dès qu’ils entrent en contact avec Rome, au Ve siècle avant notre ère, et ce portrait n’est pas flatté. Il leur reconnaît de la bravoure, une imagination brillante, mais il leur reproche leur esprit anarchique. « Il leur manque la profondeur du sens moral et le caractère politique… Leur unité nationale n’a point de lien qui la resserre. Dans leurs cités, on ne rencontre ni concorde, ni gouvernement régulier, ni sentimens civiques, ni esprit de suite… Bons soldats, mauvais citoyens, ils ébranlent tous les États sans en fonder un seul. » Il les retrouve, deux cents ans plus tard, dans la Gaule transalpine, au moment de la conquête de César. Ont-ils progressé ? Ils ont plutôt décliné : « ils ont perdu les rudes vertus des peuples primitifs, ils n’ont pas acquis les privilèges réservés aux peuples chez qui l’idée morale pénètre les âmes et les remplit. » C’est qu’ils sont réfractaires aux leçons de l’expérience.

Et ici, Mommsen s’en donne à cœur joie de frapper sur les Celtes. Il aperçoit en eux tous les défauts de leurs descendans les Irlandais, de « Paddy, » comme il se plaît à dire ironiquement. « Les Celtes aiment le cabaret et la rixe ; » ils sont vantards, bavards, curieux et « gobe-mouches ; » prêts à se lever en bandes à la voix du premier chef venu, ils sont « incapables du solide courage, qui ne connaît ni les témérités ni les faiblesses. » Ils n’ont su, et ceci est leur crime impardonnable, atteindre « ni puissante organisation militaire, ni discipline politique. » Et Mommsen conclut par ces mots impitoyables : « Dans tous les temps, dans tous les lieux, vous les voyez toujours les mêmes, faits de poésie et de sable mouvant, la tête faible et le sentiment vif, avides de nouveautés et crédules, aimables et intelligens, mais dépourvus du génie politique : leurs destinées n’ont pas varié ; telles elles furent autrefois, telles elles sont de nos jours. » — « Dans tous les temps, dans tous les lieux… » Notons bien cette condamnation sans appel. Il est clair que les Irlandais sont là pour les Français, et Paddy pour Jacques Bonhomme[1] !

  1. Mommsen a bien soin, à l’appui de ses jugemens défavorables sur les Gaulois, de citer l’autorité d’un écrivain français, auquel il n’emprunte naturellement que les lignes les plus sévères. C’est le procédé constant de nos ennemis : toutes les fois que l’un de nous parle un peu durement de notre peuple, on peut être sûr que son opinion sera recueillie outre-Rhin, et répétée, et amplifiée.