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grandes lignes le tableau qui se déroule devant nos yeux. La retraite des Russes vers l’Est continue dans les conditions que nous avons déjà notées : elle est aussi satisfaisante qu’une retraite peut l’être. Sans doute la victoire serait préférable, et de beaucoup ! Mais une retraite bien conduite n’en présente pas moins le grand avantage de réserver l’avenir ; elle en ménage, en conserve toutes les chances et tient la porte ouverte aux revanches qu’il est toujours permis d’espérer. Cela est permis surtout quand on connaît la cause du mal et qu’on a la certitude d’y porter remède. Tout le monde travaille aujourd’hui en Russie à fournir à de vaillantes armées le matériel de guerre qui leur a si cruellement fait défaut, et il nous revient de partout que cet immense effort collectif a déjà produit des résultats fort appréciables. Nous avons parlé du réveil spontané qui a eu lieu d’un bout à l’autre du pays et qui a mis en mouvement toutes les bonnes volontés. Un incident s’est produit sur lequel nous ne voulons pas insister, d’autant plus qu’il est réparable et sera bientôt réparé : la Douma a été suspendue pour deux mois. Quelques paroles imprudentes y avaient été prononcées ; comment aurait-il pu en être autrement ? Mais l’assemblée, dans son ensemble, n’avait pas mérité cet acte de défiance. Le travail n’en continue pas moins avec une merveilleuse intensité. En attendant d’avoir les armes qui lui manquent encore, l’armée fait un excellent usage de celles qu’elle a. Obligée d’évacuer Vilna, ce qui était prévu depuis quelques jours, on se demandait si elle l’avait fait à temps et si elle ne serait pas victime du mouvement tournant au moyen duquel le maréchal de Hindenburg cherchait à l’envelopper. On avait remarqué à l’Est, sur la ligne de retraite, la présence inquiétante d’un gros corps de cavalerie. L’armée russe a manœuvré habilement et une fois encore elle a échappé aux prises de l’ennemi. Bien plus, et non pas seulement sur un front mais sur tous, elle se défend en attaquant et elle remporte partout des avantages très réels. Il s’en faut de beaucoup que le but poursuivi par les Allemands soit atteint, ou près de l’être ; aucune des armées russes n’a été détruite ; toutes continuent de tenir la campagne ; toutes seront demain plus nombreuses qu’elles ne le sont aujourd’hui ; bientôt l’hiver travaillera à leur profit.

Les Allemands le sentent et, sans qu’ils renoncent à la poursuite des armées russes, leurs préoccupations se portent aussi d’un autre côté. La situation de la Turquie les inquiète, surtout depuis que la Roumanie s’est résolue à interdire sur son territoire le passage de la contrebande de guerre qui était destinée à la Porte et alimentait sa