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prudens avec la Bulgarie qu’avec elle et la pensée reste hésitante. Quoi qu’il en soit, le roi Ferdinand a eu, ou a cru avoir des griefs contre nous et son ressentiment de l’échec de 1913 en a été augmenté et envenimé. Il a incliné de plus en plus vers l’Allemagne, et sans doute a-t-il fixé alors les bases de ses engagemens futurs.

Nous ne nous chargeons d’ailleurs pas de percer le mystère de sa pensée et de la négociation qui s’en est suivie. Le résultat seul nous est connu : la Porte a cédé à la Bulgarie une portion de territoire d’une étendue modeste, mais d’un intérêt considérable, puisqu’elle contient tout un faubourg d’Andrinople. On comprend que la Bulgarie ait été alléchée. L’a-t-elle été jusqu’au point d’aliéner sa liberté, il est difficile de le croire ; mais il l’est encore plus d’admettre que le territoire concédé ait été un don gratuit. On a pourtant essayé de nous le persuader. On a assuré à Sofia que la Bulgarie n’avait rien promis pour l’avenir et que la concession qui lui avait été faite était la simple rémunération de la neutralité qu’elle avait observée jusqu’alors : mais c’était demander à la crédulité humaine plus qu’elle ne peut accorder et personne n’a ajouté foi à une allégation aussi puérile. Faut-il donc choisir obligatoirement entre l’une ou l’autre de ces deux assertions, que la Bulgarie n’a pas pu se vendre pour si peu de chose et que la Porte n’a pas pu le lui donner pour rien ? En y regardant bien, elles ne sont opposées qu’en apparence ; elles peuvent être vraies toutes les deux. La Porte n’a certainement pas cédé sans compensation la rive droite de la Maritza et la Bulgarie est entrée résolument dans une politique dont nous ne connaissons que le premier acte, politique qui comporte pour elle, avec des engagemens que nous ignorons, des profits ultérieurs à joindre à ceux d’aujourd’hui, — si toutefois, comme nous l’espérons bien, des événemens qu’elle n’a pas prévus ne viennent pas à la traverse. Ce qui donne à penser que la situation n’est pas encore tout à fait mûre pour la Bulgarie, ou du moins qu’elle ne l’était pas il y a peu de jours, c’est qu’on s’est, à Sofia, appliqué à gagner du temps. On a amusé et berné pendant quelques jours la Quadruple-Entente sur la question de savoir si le traité avec la Turquie était signé, ou simplement convenu et paraphé. L’attention donnée à ces détails accessoires a généralement pour but de la détourner d’objets plus importans ; mais cette fois le but a été manqué, tout le monde a compris qu’on était en face d’une situation définitive.

Les Puissances alliées avaient néanmoins une dernière démarche à faire et, bien que les chances de succès en fussent très faibles, il fallait