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extrêmement forte — de la « Chevauchée sur Reims. » Contentons-nous d’en constater l’originalité rythmique, par où cette course à la gloire se distingue, à première vue, de la « course à l’abîme » de la Damnation de Faust et de la wagnérienne chevauchée des Walkyries. Pour le reste, l’analogie, ou la filiation, est évidente : même continuité, même opiniâtreté de mouvement, même fougue et même furie, mêmes effets de cris et d’onomatopées. Aussi bien, à ne la considérer que du point de vue dramatique, l’invention de cette scène, ou de ce tableau, nous paraît heureuse. Dans une composition où domine l’esprit de mysticisme et d’intériorité, elle introduit un élément extérieur, un ferment d’action, d’action véhémente, tumultueuse même. Et cela n’est pas mauvais pour animer la composition générale, pour en assurer, par la diversité même, l’équilibre et l’harmonie.

Si nous trouvons le plus souvent trop vagues et trop fuyans les discours de Jeanne, ceux de saint Michel ont une autre consistance. A la bonne heure, voilà de la fermeté, de la franchise et de la précision, des phrases musicales droites comme l’épée de l’archange et brillantes comme elle. Très épisodique, insignifiante même, la scène aux environs de Blois ne finit cependant pas mal. Avec un tendre regret, Jeanne salue une dernière fois les plaines, les coteaux et les bois. (Au fait, pourquoi ces adieux à Blois seulement, et non pas, d’abord, à Domrémy ? ) Mais soudain, s’arrachant à sa tristesse : « En avant, » s’écrie-t-elle, « en avant, pour le grand nom du Seigneur Dieu ! » Sans rien d’inopiné, le mouvement n’en est pas moins juste, rapide, entraînant. La scène suivante (l’entrée à Orléans) forme un excellent tableau musical, et le meilleur de tous après celui du couronnement. Elle a lieu, cette entrée, aux sons d’une marche d’abord mystérieuse, inquiète même, et qui semble douter encore de l’approche de la libératrice, mais qui peu à peu se rassure, et finit par se mêler, hardie et joyeuse, au chant du Veni Creator. En tout, partout ici, la musique risquait d’être banale. Elle a su ne l’être en rien et nulle part. Ici Jeanne enfin a trouvé pour son oraison et son action de grâces des accens de piété mystique sans doute, presque d’extase, mais dont le sens profond et l’expression pénétrante ne viennent que d’un naturel parfait et d’une absolue simplicité. Quel caractère, quel style, quelle vérité le musicien d’Italie n’aurait-il pas donnés à la figure de l’héroïne française, s’il l’eût fait plus souvent parler, chanter, prier ainsi !

Heureusement il a retrouvé pour elle cette attitude et ce langage dans la scène la plus remarquable de l’œuvre, « le couronnement. »