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illustrait déjà le sabre de M. Prudhomme et prouve une fois de plus que les choses ne valent point par elles-mêmes, mais seulement par l’usage qu’on en fait… Mais j’allais oublier que ce n’est point l’heure de philosopher.

Donc l’acide picrique est fabriqué ainsi que nous venons de voir. Ce corps était dès longtemps connu. Les traités techniques ne le rangeaient même point d’une manière générale parmi les explosifs, sous prétexte qu’il ne contenait point assez d’oxygène. C’est lui pourtant qui devait nous donner la fulminante, la terrible, la triomphante mélinite.

Mais il me faut d’abord ouvrir à ce propos une parenthèse : dans la combustion d’un hydrocarbure, qui caractérise généralement une explosion, l’hydrogène et le carbone qui constituent ce corps sont tous deux plus ou moins brûlés par l’oxygène en formant, le premier de l’eau, H2O, le second du gaz carbonique CO2, ou de l’oxyde de carbone CO, ou même seulement du noir de fumée C, selon que la combustion en est complète, incomplète ou nulle. Or on a cru longtemps que, pour donner toute sa puissance, un explosif devait être à combustion complète, c’est-à-dire renfermer assez d’oxygène pour que tout son hydrogène soit transformé en eau et tout son carbone en gaz carbonique.

Cette opinion était erronée et voici pourquoi : Il faut un poids deux fois plus grand d’oxygène pour brûler complètement un gramme de carbone (en formant du gaz carbonique CO2) que pour le brûler incomplètement (en formant de l’oxyde de carbone CO). Or les volumes de gaz CO2 ou CO ainsi formés sont égaux. Donc à ce point de vue la puissance explosive dégagée par un poids donné d’oxygène est plus grande, dans le cas de la combustion incomplète, que de la combustion complète. D’autre part, et en revanche, la chaleur dégagée par la formation de gaz carbonique est plus grande que celle d’un même volume d’oxyde de carbone, et cette chaleur plus grande dilate davantage les gaz produits. Donc, à ce second point de vue la combustion incomplète dégage moins de puissance explosive que la combustion complète. De ces deux points de vue antagonistes il résulte que les choses doivent varier suivant les circonstances, et qu’en tout cas, a priori, tous les facteurs de la puissance explosive ne sont pas augmentés par une combustion complète.

C’est ainsi qu’il s’est trouvé que l’on avait tort de considérer l’acide picrique comme un mauvais explosif sous prétexte que son défaut d’oxygène ne pouvait lui assurer qu’une combustion incomplète, et un