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On a retrouvé plus d’une centaine de cadavres sur le terrain. Leurs troupes en arrière sont restées un certain temps en formation dense sous le feu de notre artillerie et de nos mitrailleuses. D’autre part, d’après l’interrogatoire des prisonniers, le tir sur les tranchées allemandes a été extrêmement efficace.

J’ai rencontré ce matin un commandant qui venait de passer six jours dans les tranchées de première ligne, en un endroit où la lutte est particulièrement acharnée. Il avait l’air hébété, comme un homme qui a reçu sur le crâne un choc violent dont il n’est pas encore remis. Il parlait d’une voix éteinte, en brouillant quelque peu les paroles. « Je vous demande pardon, me disait-il. C’est curieux : je ne trouve plus mes mots. »

Pendant le combat du 1er mars, au moment où les Allemands se sont emparés de notre tranchée, cinq de nos soldats sont demeurés terrés dans le fond obscur d’un boyau. Lorsque les nôtres reviennent, ils se montrent. Mais, dans l’obscurité, on les prend pour des Boches, et on leur tire dessus. Le sergent est tué. Alors les quatre survivans se terrent de nouveau. Pardessus le parapet ils jettent plusieurs bouts de papier enroulés autour de cailloux : « Nous sommes Français, ne tirez donc pas sur nous. » Et ils signent de leurs noms en indiquant leur section, leur compagnie.

On les accueille à bras ouverts. On les sustente. Ils étaient aux trois quarts morts de faim.

Toutes nos batailles dans l’Argonne marquent le triomphe de l’effort et de la volonté. C’est à force d’énergie et de ténacité que nous obtenons nos succès. Il en a été ainsi durant toute cette guerre. Mais la chose est plus vraie ici qu’ailleurs.

Les Allemands nous avaient pris hier une tranchée. Nous la leur reprenons aujourd’hui, et nous leur prenons en outre une portion de la tranchée voisine avec une mitrailleuse. Il n’y a qu’un seul prisonnier.


APREMONT.