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manifestations du mois de mai, la foule s’étant rassemblée devant le Quirinal, un des représentans de la municipalité romaine fut reçu au palais et que ce bref dialogue eut lieu entre le Roi et l’édile :

— Vous venez avec tout le peuple ? avait demandé Victor-Emmanuel III.

Un peu incertain du sens de la question qui lui était posée, croyant peut-être y discerner un blâme, le prince X… s’empressa de répondre :

— C’est pour la grandeur de Votre Majesté.

— Pour la grandeur de la nation, repartit vivement le souverain.

C’est dans l’esprit le plus national, en effet, que le Roi a rempli les deux parties du rôle qui lui était dévolu. Mais, témoignant d’une rare souplesse, ce sont des méthodes bien différentes qu’il a employées dans chacune.

Pour la résolution de la difficulté ministérielle, Victor-Emmanuel III s’est montré politique consommé. On lui attribue cet aphorisme qui résume son expérience personnelle : « Quand les ministères sont forts, la couronne peut être faible, et quand les ministères sont faibles, c’est la couronne qui doit être forte. » M. Giolitti, dont les ministères avaient eu autrefois une vitalité exceptionnelle, n’a pas dû, en effet, dans ses conversations avec le Roi, pendant les journées critiques de 1915, retrouver l’atmosphère des temps anciens. Et le Roi ayant achevé le tour des ministrables, les ayant laissés partir convaincus que la seule politique à faire était celle de M. Salandra, leur ayant démontré que, si M. Salandra s’était retiré, c’était par désintéressement personnel, pour prouver qu’il ne recherchait pas la gloire d’attacher son nom à la guerre, — cela fait, le Roi avait déblayé la place, liquidé la difficulté parlementaire, et il ne lui restait plus qu’à rappeler au pouvoir les hommes qui avaient dénoncé l’alliance autrichienne et conclu un accord avec la Triple-Entente.

Ainsi, par un véritable chef-d’œuvre, le Roi avait traduit constitutionnellement le vœu populaire. Sans courir les risques d’une dissolution et d’élections nouvelles dans un pays troublé, en face de la plus grave des crises européennes, il avait mis fin au conflit qui menaçait d’opposer le Parlement et l’opinion publique. En sorte que le monde politique doit à