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degré, on vit le drame approcher du dénouement en suivant, si l’on peut ainsi dire, les règles classiques. L’Italie était à un carrefour, elle avait à choisir entre deux politiques. Et qui restait maître de ce choix, qui serait l’arbitre supérieur ? D’un mouvement naturel, la foule se tournait vers l’une des collines de Rome, celle où s’érige le palais royal. C’est à l’héritier de ceux qui avaient fondé l’Italie moderne que le peuple demandait de traduire le sentiment national. C’est en lui qu’il plaçait toute sa confiance. Ainsi, par le mécanisme strictement constitutionnel de la démission du ministère, la crise avait pour conséquence de laisser face à face l’opinion publique et la monarchie. Sûr du sentiment populaire, M. Salandra ne l’était pas moins, peut-être, du sentiment royal. En mettant ces deux forces en contact, son habile et opportune retraite sauvait tout.

L’« appel au Roi : » ainsi pourrait se nommer la dernière phase de ces journées romaines. Et le Roi auquel en appelait le peuple, c’était le successeur des Charles-Albert et des Victor-Emmanuel II, des rois-soldats qui avaient conduit l’Italie à la grandeur. Y avait-il à douter un instant que leur héritier du XXe siècle hésiterait à suivre leurs traces ? Les princes de la maison de Savoie ont d’abord des traditions militaires. Ils portent dans leurs veines un sang guerrier et ils se sont retrouvés soldats, chefs de guerre, à toutes les grandes dates de leur histoire. En outre, depuis une centaine d’années, il est une idée qui est devenue consubstantielle à leur race, qui n’a pas cessé d’animer et de diriger leur politique : c’est l’idée italienne, l’idée d’une plus grande Italie. Cette idée a trouvé, pourrait-on dire, son tabernacle dans la maison de Savoie, comme elle y a trouvé ses serviteurs. La maison de Savoie, à son tour, puise dans cette idée sa popularité et sa force. Cette idée a été son titre à la couronne d’Italie. Elle continue de constituer sa grande raison d’être. Comme le disait encore M. Sonnino dans le Livre vert, comme il chargeait, au mois de février, M. Bollati de le représenter à Berlin : « La monarchie de Savoie trouve sa plus robuste racine dans la personnification des idéalités nationales. » Et cela, Guillaume II, mieux qu’un autre, aurait dû le comprendre : les Hohenzollern n’ont-ils pas eu des destinées toutes pareilles à celles des Carignan-Savoie ? La Prusse, par eux, n’a-t-elle pas joué en Allemagne le même rôle que le Piémont en Italie ?…