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encore si près des souvenirs de la domination étrangère ! Ce sentiment de la dignité et de l’indépendance nationales, sentiment si puissant, si déterminant dans cette crise de mai 1915, a trouvé d’ailleurs en M. Guglielmo Ferrero un interprète qui a su en mettre en relief le caractère historique, de même que M. d’Annunzio l’avait lyriquement traduit.

« Le prince de Bülow, » écrivait dans le Secolo l’éminent historien, « le prince de Bülow a tenté de renverser un gouvernement légal qu’il savait inaccessible à ses propositions. Ce sont là des méthodes dont la diplomatie allemande se sert à Constantinople et à Téhéran, et dont elle se servait à Fez avant que le Maroc fût placé sous le protectorat de la France. L’ambassadeur qui aurait fait dans une capitale européenne quelconque ce que M. de Bülow a fait à Rome aurait dû être rappelé immédiatement sur la demande de la Puissance auprès de laquelle il était accrédité. Cette crise formidable devra décider à la face du monde si l’Italie est disposée à tolérer que la diplomatie-allemande la traite comme la Turquie, la Perse et le Maroc, et ne fasse pas de distinction entre Rome et Byzance. »

Ce n’est qu’au dernier moment que le prince de Bülow aperçut l’étendue de son imprudence et de sa faute. Comme on apprenait à la villa Malta que la foule venait de se livrer à une manifestation de sympathie devant le palais Farnèse, acclamant la France, acclamant la Triple-Entente, acclamant notre ambassadeur, M. Camille Barrère, le grand ouvrier de l’accord franco-italien, quelqu’un, pensant peut-être faire plaisir à l’ancien chancelier de Guillaume II, s’écria que ces démonstrations populaires étaient sons valeur, qu’il ne s’agissait que d’une plèbe sans idées ni conscience, à qui des agens provocateurs avaient distribué de l’argent. Mais se retrouvant homme d’Etat, et dissipant les illusions de son entourage, le prince de Bülow se contentait, dit-on, de répondre à ces propos légers, et de l’accent le plus grave :

— Ne croyez pas qu’un peuple se lève pour quelques deniers. Ce qui anime l’Italie, c’est une grande passion nationale, et c’est contre nous que cette passion l’a dressée…


À ce moment, où l’émotion populaire atteignit le plus haut