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furent bien des manifestations de guerre civile qui éclatèrent le lendemain, lorsque la démission du ministère Salandra fut officiellement connue. « La guerre ou la révolution, » ne craignirent pas de dire alors deux députés interventionnistes, les honorables Païs et Faustini, en s’adressant à la foule. Les signes avant-coureurs d’un soulèvement populaire se montrèrent en effet. Chose remarquable : depuis le début de la guerre générale, c’était la première fois qu’on voyait se produire dans une capitale européenne un mouvement d’opinion profond, la première fois que des comités insurrectionnels se formaient, que des barricades menaçaient de se dresser (il en fut ébauché dans la via Viminale). Et, grand signe des temps, il ne s’agissait pas de proclamer la République ou la Commune, mais de protester contre une majorité parlementaire trop disposée, au gré du peuple, à accepter les propositions, à subir la pression d’un ambassadeur étranger.

On s’est mal et insuffisamment représenté, de loin, la violence de ces « journées. » On s’est mal rendu compte de la passion qui avait soulevé Rome, immédiatement suivie de toutes les grandes villes d’Italie. Montecitorio, à un moment donné, fut envahi par la foule. Et si les manifestans, peu familiers avec les détours du Parlement, ne s’étaient égarés dans les couloirs de la Chambre, d’où la police réussit à les faire sortir, s’ils étaient arrivés d’un élan jusqu’à la salle des séances, il est difficile de prévoir les scènes qui se seraient passées. A travers les rues, cependant, avait commencé une véritable chasse aux neutralistes notoires : c’est miracle, peut-on dire, que le sang n’ait pas coulé. Reconnus, plusieurs hommes politiques furent hués, menacés, dégagés à la fin par les carabiniers, mais à grand’peine. Bientôt, le gouvernement, qui avait attentivement veillé à la sécurité de tous, allait conseiller à M. Giolitti, pour le bien général, dans l’intérêt de l’ordre, de regagner sa villa piémontaise. Quant aux députés neutralistes les plus gravement impopulaires, ils devaient, sur l’avis de la sûreté générale, passer la nuit qui précéda la séance du 20 mai, non pas à leur domicile, mais dans un hôtel qui fait face à Montecitorio : ils n’eurent ainsi, pour se rendre à la Chambre, sans reprendre contact avec la foule hostile, qu’à traverser la petite place, fermée à toutes ses issues par des détachemens de police protecteurs.