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chargeait de nouveau M. Salandra de composer le Cabinet. Dans cette combinaison, mise rapidement sur pied, on remarquait tout de suite que le général Zupelli, partisan résolu d’un renforcement de l’armée, restait au ministère de la Guerre, tandis que M. Rubini, dont l’opposition aux dépenses militaires n’était un secret pour personne, abandonnait les Finances, où M. Carcano le remplaçait. Quant à M. Salandra, il optait définitivement pour l’Intérieur. Enfin, M. Sonnino était appelé à la Consulta.

On rapporte que le prince de Bülow, au cours de ses pénibles négociations avec M. Sonnino, redoutable adversaire, se serait écrié un jour, feignant une bonne humeur qui cachait mal son dépit : « Dans un pays de bavards, j’ai affaire au seul homme qui ne parle pas. » En effet, M. Sonnino, qui d’ailleurs, quand il le veut, sait fort bien parler, possède un flegme tout britannique, ce qui ne saurait surprendre étant donné ses origines. Il est curieux de se représenter aujourd’hui que son entrée à la Consulta avait tout d’abord déçu, en Italie, les élémens nationalistes et les élémens de gauche, déjà partisans d’une politique énergique d’intervention contre l’Autriche et l’Allemagne, et que sa réputation de « tripliciste » alarmait. M. Sonnino laissa dire. Il se laissa traiter de sphinx. Pendant tout le mois de novembre, il observa les événemens, il étudia au point de vue italien la situation européenne. Le 9 décembre, par la dépêche au duc d’Avarna sur laquelle s’ouvre le Livre vert, il introduisait la politique de l’Italie dans une voie nouvelle, en exigeant de l’Autriche qu’elle respectât l’article VII du traité de la Triple-Alliance, article qui prévoyait le cas où l’Autriche-Hongrie troublerait l’équilibre des Balkans, et fondait l’Italie à réclamer des compensations pour elle-même… Dès ce moment, on allait à la rupture et à la guerre. Le sort en était jeté.

On peut dire que la rédaction, hautement prévoyante, extrêmement habile, de cet article VII aura été déterminante pour la politique de l’Italie en 1915. A plus de trente ans de distance, les négociateurs italiens de la Triple-Alliance avaient réservé l’avenir de leur pays, ménagé sa liberté, en insérant dans le traité cette clause résolutoire, qui assurait d’avance le bon droit de l’Italie dans ses difficultés futures avec le gouvernement de Vienne, qui lui procurait le moyen de rompre