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charme incomparable, et si riche en livres et en œuvres d’art que l’on y braverait sans crainte et même avec plaisir toutes les ardeurs du soleil de Rome…

Cependant, à observer de près la ville, on y remarquait vite un certain nombre de symptômes plus dignes d’attention et plus nouveaux. Évidemment, un grand courant avait passe en laissant de sensibles traces. L’œil découvrait, par exemple, dans maintes ruelles, souvent jusque sur les murailles de grandes voies fréquentées, des inscriptions, des graffiti à la mode de l’antiquité et qui vouaient à l’exécration tels et tels hommes politiques. C’étaient encore, dans les kiosques à journaux et chez les marchands de cartes postales et d’estampes, des dessins, des caricatures, où les mêmes personnalités étaient représentées de la manière la plus cruelle ou la plus injurieuse. En revanche, à toutes les devantures, portraits du Roi et de la famille royale, portraits de M. Salandra et de M. Sonnino, portraits des chefs militaires : le général Cadorna, vénéré au-delà des Alpes autant que l’est chez nous le général Joffre ; le duc des Abruzzes, aimé pour son audace et pour son esprit, et parce qu’il incarne l’espoir que la nation a mis dans sa marine, le grand rêve adriatique et méditerranéen de l’Italie. N’oublions pas, surtout, les innombrables portraits de M. Gabriele d’Annunzio, chantre de cette guerre de délivrance et d’expansion… De nos jours, le Capitole et la roche Tarpéienne ont été transportés chez le libraire. Et ce Capitole, le peuple de Rome y fait monter ceux qui ont pris l’initiative de la rupture avec la Triplice. Celle roche Tarpéienne, il en précipite ceux qui ont soutenu le parti de la neutralité… Ainsi, pour l’étranger qui entrait à Rome, commençaient déjà, avant toute enquête, à s’éclairer les événemens dont la capitale, le mois précédent, avait été le théâtre, ces manifestations dont le télégraphe nous avait donné des comptes rendus succincts, insuffisans, un peu confus.

Enfin, si les habitans de la ville conservaient toujours cette dignité et cette gravité romaines que rien ne semble capable d’émouvoir, un peu d’observation permettait de découvrir que de grandes passions venaient d’agiter les esprits. La tempête apaisée, des rides paraissaient encore sur l’onde. Le soir, sur les places, la coutume du Romain est de s’assembler, de « faire forum. » Ces temps-ci, on sentait le forum vibrant de luttes récentes. Un cri, une rumeur, un incident de la rue, — étranger