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Volkszeitung les conseillers municipaux suspects de sympathies françaises, arrêtés depuis et emprisonnés.

Les critiques de Ledebour, sur le ton cassant qui lui est habituel, étaient aussitôt désavouées, à la tribune, par Scheidemann. Ledebour avait été chargé de protester simplement contre la suppression des langues nationales. Ce qu’il ajoutait de son cru n’engageait que lui.

L’opposition s’était renforcée : un député, Ruehle, s’associait à Liebknecht, en votant contre le budget, et encourait la même désapprobation pour offense à la discipline. 27 autres députés s’abstenaient, presque le tiers des élus.

La trêve, l’union sacrée était désormais rompue, non seulement au Reichstag, mais entre socialistes. Le discours de M. de Bethmann-Hollweg, le 28 mai, achevait d’élargir cette rupture. Le chancelier de l’Empire ne faisait que confirmer les paroles retentissantes du roi de Bavière sur le but de la guerre et les intentions de l’Allemagne à l’égard de la Pologne et de la Belgique, alors qu’au début de la guerre, M. de Bethmann-Hollweg avait répudié toute idée d’annexion.

En réponse à ce discours paraissait un manifeste signé par les trois hommes les plus considérés, sinon les plus écoutés de la socialdémocratie, Kautsky, l’incarnation même de l’orthodoxie marxiste, Haase, président de la fraction du Reichstag, et Bernstein, l’ancien chef des révisionnistes ou réformistes. Bernstein avait déjà exposé le changement d’idées qui s’était opéré on lui, à mesure que la guerre changeait d’objet. Primitivement dirigée, à son sens, contre l’absolutisme russe ; elle visait surtout, maintenant, les Puissances libérales et démocratiques de l’Ouest. Il y avait lieu de s’effrayer pour l’avenir d’un conflit économique avec l’Angleterre. Bernstein souhaitait une victoire, mais il appelait de tous ses vœux une paix qui amenât la reprise des relations entre peuples civilisés et entre socialistes. Et tel est pareillement l’esprit du Manifeste des trois : il ne s’agit plus d’une guerre de défense, à laquelle tous les socialistes sont acquis, mais d’une guerre de conquête destinée à engendrer de nouvelles guerres. Rien n’est comparable à ce carnage, à cette cruauté des temps barbares unie aux ressources les plus raffinées de la civilisation. Un devoir impérieux commando donc au parti socialiste et à ses élus d’établir une ligne de démarcation entre eux et les partis