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Marx, les prolétaires sont incités à surveiller très étroitement l’action diplomatique de leurs gouvernemens : « Si l’affranchissement des travailleurs demande, pour être assuré, leur concours fraternel, comment peuvent-ils remplir cette grande mission si une politique étrangère, mue par de criminels desseins et mettant en jeu les préjugés nationaux, répand, dans des guerres de pirates, le sang et l’argent du peuple ? »

En attendant qu’ils puissent empêcher les guerres, les prolétaires sont obligés de les subir, d’y participer. Cette participation devient un devoir s’il s’agit d’une guerre défensive toutes les classes ont le même intérêt pressant à défendre leur pays contre la dévastation et le joug de l’étranger. Les socialistes estiment que le meilleur moyen d’assurer cette défense consiste dans la substitution aux armées permanentes des milices nationales, qui effacent toute distinction entre citoyens et soldats, arment le peuple et désarment ses maîtres, protègent à la fois le territoire et les libertés publiques, les mettent à l’abri d’une invasion et d’un coup d’Etat. (Vaillant.)

Quant aux guerres offensives, les socialistes les condamnent en principe. Mais les Pères de l’Eglise internationale, Marx et Engels n’avaient que raillerie pour le pacifisme : ils font appel à la force « accoucheuse des sociétés. » Les guerres du XIXe siècle ont eu pour conséquence de grands changemens politiques dans un sens favorable au progrès de la démocratie ; comment Marx et Engels n’eussent-ils pas approuvé celles qu’ils jugeaient utiles à la Révolution future ?

Lassalle et Marx, les deux fondateurs du parti socialiste allemand, longtemps séparé en deux sectes rivales, différaient toutefois sur cette question si importante. Ardent apôtre du socialisme d’Etat et de l’hégémonie prussienne, en étroite affinité avec Bismarck, qui l’appréciait fort, Lassalle regardait l’Autriche comme la principale ennemie : il écrivait en 1859 que la Prusse devait déclarer la guerre au Danemark et annexer le Schleswig-Holstein. Il était tué en duel en 1864. La même année, au meeting de Londres où les ouvriers français et anglais jetaient les bases de l’Internationale, Marx prêchait la croisade contre la Russie tsariste. Il dénonçait « cette puissance barbare dont la tête est à Pétersbourg et la main dans tous les Cabinets de l’Europe, » comme le danger le plus menaçant pour la démocratie sociale. Seule l’assistance du Tsar permettait à