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Bernstorff ajoutait que cette politique avait été décidée par son gouvernement « avant que se produisît l’incident de l’Arabic. » Singulière observation. M. Lansing a pu se demander à quoi servait-il que le gouvernement allemand changeât de politique et donnât à ses sous-marins d’autres instructions, si c’étaient toujours les anciennes qui étaient suivies. Mais, en fait, ni le gouvernement, ni l’opinion ne se sont demandé rien de tel en Amérique. On a cru y avoir cause gagnée et la joie a été très grande. On ne s’est même pas arrêté à la pensée que le gouvernement allemand n’accordait qu’une partie de ce qui lui avait été demandé. Cette partie était incontestablement la principale : on a pu croire que, plus tard, elle emporterait le reste. S’il y a eu dans quelques journaux un peu d’incertitude sur le jugement à porter, un peu d’incrédulité, de défiance même, la satisfaction l’a emporté de beaucoup, car personne ne désirait un conflit avec l’Allemagne : et M. Wilson a eu toute l’apparence d’avoir obtenu un succès diplomatique très appréciable. Fabius Cunctator avait triomphé.

Nous disons l’apparence d’un succès parce que la suite ne devait pas pleinement confirmer l’impression optimiste du premier moment. A peine le comte Bernstorff avait-il fait sa démarche que l’Hesperian sautait. Passe pour l’Arabic ; on admettait que le sous-marin qui l’avait torpillé n’avait pas encore reçu les nouvelles instructions du gouvernement. Mais plus on s’éloignait du moment, antérieur au torpillage de l’Arabic, où le gouvernement impérial disait avoir changé de politique, plus il était difficile d’accepter la même explication comme valable, si un fait du même genre se renouvelait. Et c’est ce qui est arrivé. L’Hesperian est un paquebot qui, parti de Liverpool, se dirigeait sur Montréal. On ne pouvait donc pas, non plus d’ailleurs que l’Arabic, le soupçonner de porter de la contrebande de guerre. Il avait à bord 250 hommes d’équipage et 350 passagers. Attaqué, sans le moindre avertissement préalable, au Sud-Ouest de la côte d’Irlande, il a eu le temps de pourvoir à la sûreté de l’équipage et des passagers, à l’exception de 33 malheureux qui ont disparu. Dans le nombre, il y avait, dit-on, un Américain. L’émotion a été profonde en Amérique, On s’est demandé si le gouvernement impérial avait été de bonne foi dans ses promesses, ou si, au contraire, il ne se jouait pas du Cabinet de Washington. Il avait pu constater, d’après la joie causée en Amérique par la démarche du comte Bernstorff, la vivacité du sentiment pacifique : qui sait s’il n’en a pas tiré la conclusion qu’il pouvait encore, sans