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délicatesse de l’analyse, la pureté du goût, la parfaite simplicité, sans rien de ce cabotinage qui trop souvent sert de rançon aux plus beaux dons de théâtre. Ce que j’en aimais encore, c’était l’originalité sans étalage et sans défi. Je les ai toutes entendues dans leur nouveauté avec ravissement ; je viens de les relire d’ensemble et je n’y ai trouvé ni moins de grâce, ni moins de profondeur : je ne saurais en parler qu’avec tendresse de cœur. Faut-il m’en excuser ? Je n’abuse pas de la critique impressionniste, et si elle peut une fois m’être permise, ce doit être à propos de Jules Lemaître.

A la date où fut jouée Révoltée, en 1889, le théâtre traversait une crise de renouvellement. La formule à laquelle Augier et Dumas avaient dû leurs plus beaux succès semblait usée : en fait, Augier après les Fourchambault avait pris congé du public et Dumas se bornait à lui promettre la Route de Thèbes qu’il ne devait jamais lui donner. Sardou se confinait dans le genre historique. Meilhac et Halévy avaient cessé leur prestigieuse collaboration. Ceux qui allaient prendre la place de ces glorieux aînés n’en étaient qu’à leurs débuts, ou même n’avaient pas encore abordé le théâtre. M. Paul Hervieu n’avait pas fait représenter sa première pièce, les Paroles restent, ni M. François de Curel l’Envers d’une sainte, et M. Maurice Donnay n’était pas sorti du Chat Noir. M. Henri Lavedan n’était pas encore l’auteur du Prince d’Aurec, ni M. Brieux celui de la Robe rouge. Cependant il se faisait, dans la presse et ailleurs, un grand bruit de controverses dogmatiques et une abondante consommation de théories. L’un tenait pour la tranche de vie et l’autre pour le théâtre d’idées. Le Théâtre-Libre tentait l’effort le plus suivi auquel on eût encore assisté pour enlizer le théâtre dans la grossièreté. Et les cosmopolites, toujours à l’affût, s’évertuaient à amonceler sur notre scène les nuées des dramaturgies étrangères.

Dans quel sens allait s’orienter Jules Lemaître ? Il n’était que de le demander à ces feuilletons qui faisaient alors, chaque semaine, la joie des lettrés. Car c’est au critique dramatique que nous devons l’écrivain de théâtre : il n’y a sur ce point aucune espèce de doute. On sait avec quelle facilité Jules Lemaître subissait l’influence des milieux qu’il traversait : obligé de fréquenter les théâtres par devoir professionnel, il en vint tout naturellement à écrire pour eux. Certes l’ancien normalien, deux fois traditionaliste par tempérament et par éducation, était le plus classique des hommes ; mais il était aussi le plus épris de modernité, — je ne dis pas de parisianisme, quoiqu’il fût provincial. Le boulevard ne l’avait pas ébloui : au temps de sa