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que le courage. C’est la première, sans laquelle il n’y a plus rien. C’est celle qui convient le mieux à l’homme ; c’est celle qui convient le mieux à la femme. La peur est, de tous les sentimens humains, un des plus abjects, et qui excite le moins de compassion. Et la peur, c’est le plus souvent un effarant amour de vivre.

Je ne parle ici que des jeunes hommes : car ceux-là seuls sont intéressans. Les autres, les hommes mûrs, et surtout les vieillards, s’ils attachaient quelque prix à la vie, seraient dénués de tout bon sens. Ils regrettent des biens qui ne les touchent plus.


Toute chose pour eux semble être évanouie.


La progressive et sûre destruction des organes les a tous frappés successivement, démolissant chacun d’eux pièce à pièce, lambeau par lambeau. Les cheveux blanchissent, la peau se ride, les muscles tremblent, la voix se casse, la vue se trouble, le rire s’éteint, l’intelligence baisse et passe au radotage. On devient une ruine, une loque. On n’a même pas à espérer que des sensations nouvelles vont, par quelque émotion imprévue, rafraîchir cette décadence. Eadem sunt omnia semper. Ce n’est que répétition de sensations jadis éprouvées. L’avenir ne réserve aux vieillards que du déjà vu ; ce qui ôte, à ce court avenir, le principal attrait de toute humaine existence : la curiosité.

Vraiment oui ! pour les vieillards, même quand ils se peuvent repaître de souvenirs charmans, il est sot de se cramponner à la vie. Que ne disent-ils, avec La Fontaine[1] :


Il faudrait qu’à cet âge
On sortit de la vie ainsi que d’un banquet.


Banquet ! Charmans souvenirs ! Illusions d’autrefois ! Hélas ! pour combien de pauvres vieux la vie n’a-t-elle pas été un fardeau très lourd ! Et, quand la mort frappe à leur porte, au lieu de dire : Encore ! ne seraient-ils pas plus avisés de dire : Enfin !

  1. Pourtant le même La Fontaine s’est contredit d’une manière assez étrange : car il importait assez peu au bonhomme d’être conséquent avec lui-même. En effet, il remémore le mot de Mœcenas qui avait dit : « Pourvu que je vive, c’est assez, »et il trouve le mot si beau qu’il le met en note dans sa Table La mort et le bûcheron, avec une naïve admiration.