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membres seront brûlés par la flamme ? Il n’est pas raisonnable, étant vivant, de pleurer sur sa propre mort.


Scire licet nobis nihil esse in morte timendum,
Qui possit vivus sibi se lugere peremptum ?


« Alors en effet tu seras endormi dans une torpeur éternelle, en laquelle aucun regret ne pourra plus t’atteindre. Tu auras le silence et le repos. Qu’y a-t-il là de triste ? Quelle plus grande sécurité que ce prolongé sommeil ? »


Nec desiderium nobis nos attigit ullum,
Num quid tibi horribile apparet ? Kum triste videtur
Quidquam, nonne omni somno securius exstat ?


Avant Lucrèce, Platon avait formulé ce raisonnement d’une manière irréprochable : « Ou tu es vivant, ou tu es mort. Si tu es vivant, rien à craindre de la mort, puisque, par définition même, tu possèdes la vie. Si, au contraire, tu es mort, tu ne seras plus là pour déplorer chose quelconque. On ne déplore que si l’on existe. Ce qui est privé d’existence ne peut ni regretter, ni craindre, ni espérer. »

On sait que cette logique, d’ailleurs absolument rigoureuse, a coûté la vie au malheureux Etienne Dolet. Il avait traduit l’Axiochos de Platon, où l’auteur grec disait, dans une des branches de son dilemme : « après la mort, tu ne seras plus rien du tout. » Encore que Dolet ne fût que traducteur, on lui fit un crime capital d’avoir nié l’immortalité de l’âme, ce qui le conduisit droit au bûcher.

Dans un cas comme dans l’autre, que l’on admette ou non une âme immortelle, la conclusion est la même ; c’est que la mort est peu de chose.

Si l’âme survit à la décomposition de notre chair, si, comme toutes les religions l’admettent, il y a une Walhalla ou un Paradis dans lesquels le moi impérissable sera accueilli, la mort est un événement accessoire. La vie terrestre n’est qu’un passage, qui est très court et de pou d’importance ; de sorte que la fin de la vie ne termine rien, puisqu’elle ne termine pas la conscience. Donc, dans ce cas, pas de terreur.

Si au contraire avec notre dernier souffle le moi disparaît et s’anéantit dans un sommeil sans rêve et sans réveil, le moi