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Angleterre : c’est que, là-bas, on réprime sans pitié toute perturbation de l’ordre public ; mais on y évite avec un soin méticuleux les mesquines chicanes qui gênent la liberté et les aises des individus. » Mais combien ces petits défauts semblaient à M. de Bülow pardonnables, quand il considérait l’ensemble de l’œuvre et les résultats les plus certains, ou du moins les plus apparens ! Après quarante années d’existence, c’est l’empire du Hohenzollern et son administration à la prussienne qui lui semblaient avoir fait de l’Allemagne l’Etat le mieux tenu de l’Europe, le mieux aménagé pour les besoins de la communauté, sinon le mieux adapté aux aises et aux libertés des individus. Grâce à l’Empire, la pauvre Allemagne de 1871, qui nourrissait misérablement 41 millions d’habitans, était devenue en 1914 une terre de richesse et d’abondance, où 65 millions d’hommes semblaient trouver aisément leur vie, en étalant ce luxe, cet insoucieux gaspillage de l’argent et ces plantureuses habitudes de table qui les suivaient sur la terre étrangère. La Statistique annuelle de l’Empire allemand, Statistisches Iahrbuch für das deutsche Reich, offrait le merveilleux inventaire de ce progrès constant :


POPULATION DE L’EMPIRE (en millions d’habitans)


1871 1880 1890 1900 1910
41 45,2 49,4 56,3 64,9

En 1871, la population allemande était de même densité à peu près que la nôtre aujourd’hui : 75 habitans au kilomètre carré. En 1910, la sablonneuse, forestière et marécageuse Germanie d’autrefois atteignait et dépassait le chiffre moyen de l’Italie, mère des riches moissons : 120 habitans au kilomètre. Elle ne perdait presque plus d’émigrans : en 1881, 220 000 Allemands s’en étaient allés chercher pâture et se fixer au dehors ; l’année 1912 n’en voyait plus partir que 18 000. De 1871 à 1894, l’émigration avait enlevé à l’Empire deux millions et demi d’affamés ou de mécontens, soit une moyenne annuelle de cent dix mille individus au moins ; de 1894 à 1913, l’émigration ne prenait plus que 550 000 Allemands, — soit une moyenne annuelle de vingt-huit mille au plus, — et qui s’en allaient au dehors chercher moins à vivre qu’à placer les marchandises, les inventions et les capitaux de la mère patrie. Donc, soixante-cinq millions d’Allemands trouvaient dans