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pareils pour la défendre ! » En parcourant le champ de bataille de Loigny, le même officier ne peut retenir l’expression de son admiration en trouvant des adolescens et des vieillards à cheveux blancs parmi les cadavres entassés au pied des retranchemens allemands[1]. Quarante années enfin après la guerre, un ancien volontaire de 1870, devenu un éducateur de renom, et écrivant, pour ses élèves, ses souvenirs, tirait en ces termes la moralité de la dure campagne qu’il avait faite sur la Loire, d’Orléans au Mans : « Dans quelques ouvrages analogues à celui que j’offre au public, j’ai trouvé à l’égard des Français un ton dédaigneux que je ne puis approuver. Si l’on songe que pendant deux mois nous avons dû conquérir pied à pied, au prix de fortes pertes, chaque lambeau de terrain, que nous voyions chaque jour sortir du sol de nouvelles forces, que nous avions à combattre une armée faite de pièces et de morceaux, alors je me demande de quoi n’eût pas été capable cette armée, si elle avait eu à sa tête des chefs comme les nôtres… Qu’en 1870 maint mobile, las du combat, ait abandonné ses drapeaux, on ne peut le nier. Mais qui ne sait que dans les rangs prussiens se trouvaient aussi des âmes de lièvres ou des fils de famille et que la lâcheté est un vice international ? Gardons-nous donc de ne pas estimer cette nation à sa juste valeur. Si jamais elle devait trouver de grandes idées pour l’animer et des chefs capables pour la conduire, nous n’en viendrions pas à bout si facilement[2]. » Avertissement presque prophétique, si l’on songe qu’il a été écrit au lendemain d’Agadir, et presque à la veille de la guerre actuelle !

Il est enfin un dernier point sur lequel un lecteur français résiste difficilement à la tentation d’interroger les témoins allemands de 1870 : c’est la question de l’Alsace-Lorraine, qui allait pendant des années dominer la politique européenne et compromettre la solidité de l’édifice qu’elle était destinée à couronner. Les hommes dont le sang a servi à la poser, sinon à la résoudre, en ont-ils compris la portée ? Se sont-ils fait illusion sur les sentimens des populations ramenées par force dans le giron de la patrie germanique ? Ont-ils pu croire de bonne foi avoir travaillé à leur libération ? A cet égard, leurs témoignages présentent une unanimité négative précieuse à enregistrer pour un

  1. Koch-Breuberg, pp. 38 et 76.
  2. Mattias (Adolf), Meine Kriegserinnerungen, Munich, 1911. Préface.