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n’est capable de dire un mot de vrai et de s’échauffer pour une idée ( ? ? ), d’où le bon sens est absent, dont il faut à tout prix rabaisser la superbe[1]… » telles sont les aménités qui alternent avec les effusions sentimentales dans ses lettres à sa femme, auxquelles elles donnent parfois l’apparence d’une véritable anthologie d’injures nationales. Elles montrent par un exemple éclatant et heureusement assez rare l’esprit de magnifique incompréhension des mentalités étrangères qui a été si souvent signalé comme une lacune de la psychologie germanique.

Arrivée à ce degré d’aveuglement, la haine de la France relève de la pathologie et ne peut d’ailleurs représenter qu’une exception. Tous les collègues de Kretschmann ne présentent pas la même aptitude à rester fermés aux enseignemens de l’expérience. Leurs rapports constans avec la population française font peu à peu tomber leurs préjugés de la veille devant leurs impressions favorables du jour, en vertu d’une lente évolution dont il est curieux de suivre les progrès dans leurs témoignages.

Ils ne peuvent, en effet, malgré leurs préventions, rester toujours insensibles aux qualités sociables et aimables qui forment, par contraste avec la nature allemande, le fond du caractère national français. Ils notent avec une reconnaissance émue l’humanité des paysans qui ne refusent jamais leur assistance aux malades, aux blessés ou même aux traînards ; le tact avec lequel les citadins rendent les honneurs funèbres à la dépouille des soldats ennemis décédés dans leur ville ; l’instinct de sociabilité innée qui rend à beaucoup d’officiers le séjour chez des hôtes étrangers plus agréable que chez leurs propres compatriotes[2]. Il n’est pas jusqu’à la légèreté proverbiale des Français qui ne trouve grâce aux yeux des plus cultivés : « Ne nous y trompons pas, avoue même Fontane dans un accès de franchise, rien n’est plus ennuyeux que la solidité toute seule et la conscience qu’on en a[3]. » — Mais ce qui, dans ce voyage de découverte à travers la société française, les remplit d’une stupéfaction croissante et sans cesse renouvelée, c’est l’attitude des femmes. Ils s’attendaient, sur la foi de la légende ou du roman, à les trouver frivoles et coquettes, prêtes à se jeter par curiosité à la tête des vainqueurs. Elles se dérobent au contraire

  1. Kretschmann, pp. 75, 90, 98, 112, 119, 148, 206, 233, 262, 283, 328.
  2. Krokisius, pp. 92 et 102 ; Bauriedel, pp. 80 et 81.
  3. Fontane, I, p. 80.