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Car si les Suisses, unis et vainqueurs dans la défense de leurs libertés et l’affranchissement de leur territoire, avaient persévéré à la fois dans cette union nationale et dans une politique d’alliances et d’acquisitions collectives, leur force militaire leur eût assuré dans l’Europe d’alors un rôle important, qui aurait peut-être entraîné de lointaines conséquences. Les historiens n’ont pas manqué de déplorer le manque d’esprit politique qui laissait alors les Cantons besogneux, séduits par l’appât de gains immédiats en numéraire, gaspiller leurs forces au profit des étrangers, venus chez eux lever des troupes. Sans doute, ce service militaire étranger devait nuire à la fois à la moralité publique et aux destinées nationales de la Suisse ; mais il ne faut pas oublier qu’il était alors dans les mœurs : non seulement les cités italiennes, mais même les plus grands princes, comme le roi de France, ménageaient leurs propres hommes pour conduire de préférence en guerre des mercenaires de toute origine, lansquenets allemands, aventuriers gascons, cavaliers albanais ; et les conducteurs (condottiere) de ces troupes étaient des sortes d’entrepreneurs de victoire, auxquels tout sentiment national était étranger. Les Suisses, le plus militaire des peuples d’alors, n’avaient donc d’exceptionnel que leur patriotisme, qui les conduisait parfois à lutter sur les champs de bataille, non pour un gain promis par quelque haut seigneur, mais pour une cause nationale et le profit de leur communauté. A Marignan, leurs troupes concentrées à Milan participaient aux combinaisons complexes qui armaient, en cet été de 1515, l’Empereur, le Pape, Venise, le Français, l’Espagnol, autour du Milanais lui-même. Mais alors que des raisons de politique plus ou moins subtile poussaient les uns et les autres à ménager le Français, c’est une vraie rancune nationale qui surexcitait les Suisses contre l’héritier de Louis XII. Car ce roi, le dernier de nos grands féodaux, avait dédaigné de ménager l’alliance de ces héroïques paysans, qu’il trouvait trop rapaces. Froissés et lésés dans leurs intérêts, ceux-ci étaient redescendus en Italie pour régler une bonne fois ce vieux compte avec les Français et ils allaient, dans l’acharnement de la bataille, mettre toute la fougue de ce patriotisme qui les avait tant de fois rendus vainqueurs des rois.


On connaît le détail de cette magnifique épopée. A l’annonce