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somptueuse, était le domaine d’élection où les rois de France venaient déployer leur force militaire et leur faiblesse diplomatique, où nos gentilshommes allaient chercher des passes d’armes et des richesses et d’où notre civilisation recevait à la fois des idées renouvelées de l’antique, des formules d’art encore inconnues, des raffinemens de vie et des élémens de corruption. En avance de plusieurs siècles sur l’évolution morale, politique et technique du reste de l’Europe, l’Italie est alors par divers côtés comparable à la Grèce des beaux jours de l’hellénisme. Comme celle-ci, elle n’a d’unité que dans un commun idéal de beauté partout éparse et de vie intellectuelle intense ; même effritement politique de cités jalouses, où la vie publique, dans des communautés trop restreintes pour leur richesse, aboutit au scepticisme politique et à l’oblitération du sens national ; et, comme la Grèce de jadis devait périr politiquement sous les coups des grands voisins qu’elle méprisait comme barbares, mais qu’elle devait civiliser, de même l’Italie, devenue par la déchéance de ses mœurs la proie et le champ clos des peuples de l’Europe, fécondait des civilisations nouvelles en mettant en contact leurs jeunes énergies et ses trésors accumulés. La France de Charles VII et de Louis XII, encore brutale et fruste au sortir de la guerre de Cent Ans, avait connu, dans ce pays merveilleux, des ivresses de rêve. Mais déjà une génération nouvelle s’y élevait qui avait au donjon des ancêtres percé des fenêtres italiennes, appris, outre les jeux des armes, les joutes plus déliées de l’esprit et, trop intelligente pour ne pas sentir ce qui lui manque, trop fière pour consentir à rester inférieure, s’appliquera méthodiquement à comprendre ce qu’elle admire en Italie, pour l’imiter, ou mieux’ se l’assimiler.

Cette assimilation, cette adaptation consciente des qualités d’autrui à sa vie nationale ont été de tout temps une des forces maîtresses de la France, de celles qui, aux heures les plus critiques d’infériorité momentanée, lui ont assuré le plus de ressort et les plus vastes espoirs. N’avait-on pas vu la Gaule, abattue par l’admirable organisation romaine, adopter cette organisation, même au point de devenir le modèle des provinces de l’Empire ? Et, plus récemment, n’est-ce pas aux Anglais leurs vainqueurs que les Français avaient emprunté, en les perfectionnant, les armes et les méthodes, dont ils n’avaient que trop senti l’efficacité ? L’artillerie anglaise avait, à Crécy, soulevé