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cohésion politique pour que leur conflit préludé à ceux dont saigne l’Europe d’aujourd’hui : à Bouvines, en 1214, la France, levée en masse, a vaincu et rejeté une bonne fois l’invasion germanique, et pourtant la Belgique opulente du comte de Flandre et l’Angleterre, où déjà s’élaborait la Grande Charte, s’étaient alliées à nos ennemis. La grande puissance capétienne est dès lors à l’abri, tant du côté de l’Allemagne, déçue par ses empereurs et livrée aux féodaux, que de l’Angleterre, dont les rois sont aux prises avec le parlementarisme naissant : paix féconde, où naquirent nos cathédrales, et où la splendeur de la civilisation française déborde sur le monde européen tout entier, semant jusqu’aux iles et aux montagnes de Syrie des monumens et des peuples chrétiens qui subsistent encore. Et cette époque glorieuse dura juste un siècle : 1314, en effet, marque à la fois, avec la chute des Templiers, la fin de l’âge héroïque inspiré par le grand souffle des Croisades et, avec la mort de Philippe le Bel, la véritable fin des grands Capétiens de la branche aînée, dont ses médiocres fils ne sauront perpétuer la lignée magnifique. Les deux siècles qui suivent sont remplis, sous les premiers Valois, par les douloureuses luttes intérieures où, sous les coups de l’invasion anglaise, se martèlera l’unité nationale, et c’est dans l’excès même des nouvelles dissensions féodales que fermenteront les germes d’où sortira l’Etat moderne. Azincourt en 1415 est le point le plus bas de cette courbe descendante, et vraiment, au lendemain de cette victoire anglaise, avec la révolte et la terreur dans Paris, la misère dans les campagnes, la querelle sanglante des seigneurs, la folie du roi et l’inconduite d’une reine allemande, pactisant avec l’ennemi, on pouvait se demander si ce n’en était pas fait de la France et si notre malheureux pays, entre l’anarchie et l’invasion, saurait éviter l’effritement et la déchéance et préserver sa nationalité.

On sait quelle merveilleuse œuvre de refonte de l’énergie nationale fut la tâche du siècle suivant et comment l’âme populaire, miraculeusement symbolisée par la virginale et sublime figure de Jeanne d’Arc, imposa aux gouvernans corrompus et blasés, aux généraux formalistes, au roi Charles VII lui-même, hésitant et timide, sa foi volontaire et tenace, qui put, dans l’union sacrée de cette époque, enfanter de nouveaux miracles. Les Anglais, aujourd’hui nos amis, ne voudront pas sans doute,