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inévitable ; ce mot qu’il a lancé, avec plus de verve que de justesse exacte, pour affirmer sa confiance dans le bon droit du pays et dans l’excellence de l’armée ; ce mot lui reste, comme un affront : ce mot qu’on détourne de sa claire signification, par malveillance et en signe de haine. Est-ce qu’une minute avant la phrase du « cœur léger, » il n’avait pas prononcé cette phrase, qu’on affecta d’oublier, la phrase de « l’âme désolée, » importante aussi ? Le « cœur léger, » ne l’a-t-il point expliqué sans retard, et dès que se fut manifesté le faux étonnement de l’auditoire ? Enfin, si l’on fait semblant de l’ignorer, lui le sait qu’il a le cœur lourd et atrocement lourd d’un fardeau de tristesse !… Le verset du psaume, traduit par Dante, lui conviendrait, non la trompeuse devise du « cœur léger : » « Attendete et guardete s’egli e dolor alcun’ si come il mio grave. » On ne l’a pas compris ? C’est qu’on tient à ne pas le comprendre. Et on l’outrage : il ne reçoit pas l’outrage d’un cœur soumis ; et il n’écrira pas l’histoire d’un cœur tranquille. Mais, l’impartialité, ne la confondez pas avec l’indifférence. L’impartialité, la seule qui soit le devoir de l’historien, l’oblige « à ne pas travestir les opinions et les actes, à rapporter les opinions qu’on ne partage pas, les actes qu’on réprouve, avec un tel scrupule d’exactitude que ceux-là mêmes qui en sont les auteurs n’aient rien à y reprendre et à y ajouter. » Emile Ollivier cite comme un exemple et un modèle d’impartialité le cardinal Bellarmin, théologien de l’ordre des Jésuites : « On le mit à l’index parce que son exposition sincère des erreurs condamnées inspirait à plus d’un l’envie de les adopter. » L’auteur de l’Empire libéral n’est point allé jusqu’à un tel excès : les actes qu’il réprouve et les opinions qu’il ne partage pas, il n’engage pas son lecteur à les louer ou à les excuser.

Il faut, dit-il encore, que l’historien donne à son lecteur le moyen de juger les jugemens qu’il lui présente et de les réviser. Pour cela, qu’on n’hésite pas à publier les documens, les pièces du procès. Emile Ollivier suit son précepte : ses volumes sont riches de documens et de pièces ; il avoue même qu’il a souvent sacrifié l’agrément littéraire de ses narrations à l’intègre souci de publier « les textes » authentiques. Cependant, l’histoire et la publication des textes sont deux choses. L’histoire est une opinion. Tout publier ? elle choisit. Tout dire ? elle n’en finirait pas. L’historien, loyal et patient,