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suprématie de son abnégation. Moi, j’entendais l’écho des orages qui, depuis quarante ans, grondaient dans sa mélancolie. Il se tut ; et je ne savais plus s’il avait tort ou s’il avait raison, parmi tant d’émoi, dans une telle évocation des possibilités qu’on suscite et du fait qui ne bouge pas.


L’Empire libéral est une œuvre de souffrance et, par instans, de désespoir. Mais la souffrance ne crie pas merci ; au désespoir succèdent les prompts sursauts d’une ardeur farouche. Emile Ollivier s’adresse au lecteur : il s’adresse à un adversaire. Son lecteur n’est-il pas un adversaire, et non pas un ennemi particulier, mais l’un des innombrables ennemis que lui vaut sa légende ? Cette légende, il ne cesse pas de la sentir autour de lui, — « la légende du mensonge avec laquelle je suis aux prises, » — et qu’il attaque d’un côté, qui revient de l’autre, qu’il tue et qui renaît, qui ne le lâche point, si tenace qu’il doute parfois de s’en débarrasser, et qu’il ne lâche point, lui non plus. Il discute les textes et le commentaire. Il voudrait discuter aussi les bruits qui courent ; il s’efforce de les saisir et ne peut tous les attraper. Que faire ? .. « J’ai donc été plus d’une fois, avoue-t-il, tenté de m’arrêter. Je me suis souvent demandé si je ne ferais pas mieux de briser ma plume et de me livrer dans ma solitude aux graves méditations qui conviennent à mon âge. Cependant, une force invincible me contraint à continuer… » Pourquoi ? et que se promet-il ?… La gloire de son nom ?… « Je me suis toute ma vie beaucoup préoccupé du devoir et fort peu de ce qu’on appelle la gloire ; je m’en soucierai encore moins dans quelques jours, lorsque je reposerai entre quatre planches couvertes de terre, et encore beaucoup moins si, comme je l’espère, ce qu’il y a de meilleur en moi revit ailleurs. » Alors, pourquoi continue-t-il d’écrire ? « J’écris par dilettantisme ! » Il écrit pour « le plaisir délicieux de rendre témoignage à la vérité. » Par dilettantisme ? Il y a là du défi. Non, Emile Ollivier n’écrit pas par dilettantisme : il écrit par esprit de bataille. Son Empire libéral n’est pas une histoire offerte à la paisible lecture des badauds et des amateurs ; elle n’est pas contée, mais, pour ainsi parler, ripostée. Les critiques la jugeront, plus tard, en tant qu’histoire, quand un autre Boislisle aura eu le prodigieux talent de l’annoter comme le Saint-Simon.