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France le tort de la perfidie et l’imprudence de l’agression. Prenons garde : et, en condamnant tout d’une pièce le ministère que l’Allemagne avait dupé, ne soyons pas dupes de l’effronterie allemande, célèbre désormais.

Deuxièmement, on ne cesse de dire que la politique française a, durant tout l’Empire, favorisé l’ambition germanique et, par le principe des nationalités, aidé à la constitution de l’Empire allemand. Peut-être. En conséquence, on a dénoncé comme la source de tous les maux ce principe des nationalités, si généreux et fol jusqu’à la niaiserie. L’on oppose à de si périlleuses chimères l’excellent positivisme de la diplomatie antérieure, laquelle entretenait le désordre dans les Allemagnes et, par ce moyen, sauvait la France et l’Europe. Il est certain que les hommes les plus distingués et les plus influens du second Empire ont eu, pour la Germanie, trop de bontés. D’ailleurs, ils continuaient une tradition qui remonte à nos philosophes et à leur idole, le roi Frédéric II. Dès sa jeunesse, Emile Ollivier, de même que ses amis, ne consent plus à regarder l’Allemagne comme un antre d’où sortent des reitres « dépassant, selon notre du Bellay, tous les autres en barbarie, » ou, selon Machiavel, « d’énormes bêtes féroces n’ayant d’humain que la voix et le visage. » Il songe à Luther, à Frédéric, à Leibnitz, à Kant et à Gœthe. Beethoven est le consolateur de ses mélancolies adolescentes ; il étudie le droit dans Savigny, la dialectique dans Hegel ; il prend Niebuhr, Gervinus et Ranke pour d’intègres historiens ; le dimanche, à la table d’Arago, les merveilleux propos de Humboldt le ravissent. Dès lors, il déclare odieuse une politique française qui entrave l’essor du génie allemand. Plus tard, à la tribune de la Chambre, il admonestera vivement ceux qui, négligeant l’affranchissement de tous les peuples ; ne craignent pas de placer l’intérêt de la France dans « une grandeur égoïste : » il préconise « la grandeur de tous et la justice éternelle. » — « Soyons Français ! » réplique Thiers. Ollivier se réclame de la Révolution, des idées largement humaines qu’elle a répandues par le monde, et affirme sa poétique passion « d’identifier les droits et la grandeur de la France avec les droits et la grandeur du genre humain. » Thiers, obstinément, proteste et revendique pour la France la permission de refuser le suicide. Il a raison : la politique de précaution qu’il recommande, c’est la constante politique de la