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marquer leur victoire, ils ont juré du moins d’enfoncer la défense de l’Est. Déjà le matin, ayant vu sortir de la tête de pont les héroïques bataillons d’Oudstuyvekenskerke, ils avaient cru la ville dégarnie et avaient essayé, dans un assaut général, sa force de résistance. Malgré la furie de leur choc, ils n’avaient débordé nos tranchées que sur un point, où tout de suite le colonel Jacques avait en personne ramené ses hommes en leur disant ce simple mot : « Mes enfans, mes enfans ! un Belge tient jusqu’à la mort ! »

Ils s’étaient contentés alors, durant tout le jour, de préparer l’assaut du soir par un bombardement méthodique, régulier, scientifique. « Chacune de leurs batteries, raconte un officier, ayant fait choix d’un front à battre, l’arrosait d’abord par coups successifs de droite à gauche, puis de gauche à droite, ensuite les six coups partant simultanément venaient bouleverser l’ouvrage dans toute sa longueur. » Maintenant, l’artillerie se tait. Un silence affreux régnerait, si la tempête ne faisait la nuit plus affreuse encore. Il pleut obliquement. Quand les averses s’arrêtent, le vent, avec de brusques sautes, tourbillonne, siffle, bondit d’un bout à l’autre de l’horizon. Au fond du ciel sans lune, le galop des nuages noirs emporte des reflets de braise. Les élémens semblent voués à une colère infernale. Tout à coup, retentit un piétinement dans la boue gluante. Des régimens hurlans se précipitent au bord du canal d’Handzaeme, d’autres surgissent des prairies du Sud. Ce sont des troupes fraîches, hardies, décidées. Repoussées, elles reviennent. Elles reviennent, elles reviennent encore. Ruées sur ruées, tueries sur tueries. Parfois, de grands cris brefs précèdent l’assaillant aussitôt écrasé. Parfois, il se glisse en silence, se hisse sur les parapets, prend les nôtres à la gorge. Ce sont alors des corps à corps sans exemple. Pas un coup de feu. La baïonnette, le couteau, les crosses. Les torses s’étreignent, les doigts se nouent aux gorges. On voit luire des mâchoires. Les adversaires roulent à terre, se redressent, se lâchent, se reprennent. L’assaut s’achève par des pas en fuite dans les ténèbres. Ceux qui ont vu ces attaques sauvages dans l’ombre folle ont vu l’enfer. Ils ont triomphé de l’enfer : c’est vingt-six fois dans cette nuit du 24 au 25 que l’ennemi fut rejeté de Dixmude.

Le 25, toujours contenus au centre par la 83e brigade française, le 1er de ligne et le 2e chasseurs qui les attaquent de flanc