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Aux hommes debout devant les créneaux, attentifs seulement aux mouvemens de la plaine, ils ne révélaient leur présence qu’en leur donnant la mort. Ceux qui avaient le loisir de lever la tête, les voyaient distinctement en l’air, formidables et allongés, achever leur courte parabole avant de choir verticalement dans un vertige invisible. Le major Houard ayant demandé qu’un officier d’artillerie vînt sur place tâcher de reconnaître d’où partaient ces projectiles nouveaux, le lieutenant Cambrelin accourut. Mais un obus cigare, — comme les appelaient déjà les hommes terrifiés, — au moment où ils levaient la tête, tua brusquement le major Houard et le lieutenant Cambrelin. Dès lors, tandis qu’au loin se dessinait une immense attaque toujours attendue, jamais déclenchée, les sinistres machines tombèrent, de plus en plus rapides et rapprochées, sur les soldats impuissans qui ne songeaient pas à fuir, qui restaient muets et stoïques sous ce déluge. Quand, à dix heures du soir, le 14e de ligne et le bataillon de chasseurs à pied du lieutenant-colonel Lambert vinrent les relever enfin, leur régiment avait perdu dix-huit officiers et six cents hommes.

L’ordre catégorique qui avait cloué sur place les soldats du 7e de ligne, les soldats du 14e, également épuisés par la bataille, l’apportaient aussi avec eux. La relève, éclairée par le jaillissement des fusées et par l’éclat mouvant des incendies, les exposa tout de suite à un bombardement frénétique. A l’aube, celui-ci semblait s’être localisé sur le bataillon du major Waslet qui faisait face aux restes du pont. Avec une atroce régularité, de cinq minutes en cinq minutes, éclataient sur lui les bombes foudroyantes. Et le tir des obusiers dissimulés tout près, semblait-il, derrière l’autre digue, était si précis que les hommes préféraient à la tranchée trop bien repérée le terrain découvert, un peu en arrière des lignes, où, dédaigneux d’autres périls, ils restaient dressés ou couchés, tirant toujours. Les pertes étaient si considérables qu’il fallut dès la matinée faire donner le bataillon de réserve. Mais sa marche vers la tranchée fut bien vite aperçue au milieu des champs : l’une des compagnies, en arrivant à la première ligne, n’avait plus que quinze hommes valides.

Il était midi, le passage était forcé à Schoorbakke ; Tervaete venait d’être évacué par les nôtres. Le 23e de ligne qui, de la droite du 14e, s’étendait jusqu’à la boucle, pris par un tir