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humble procession s’en allait parmi les ruines et les coups. Au cimetière accompagné par l’orgue monotone des mitrailleuses proches, une bénédiction glissait dans l’air. L’aumônier disait au nom des assistans l’adieu qu’il fallait : « Ne pleurons pas, mais vengeons-le ! » Tout près, le bombardement qui avait suivi le cortège frappait les tombes et les croix, brisant au fond des caveaux défoncés les cercueils et les squelettes. Pas bien loin, les étroites maisons blanches du petit Béguinage, serrées l’une près de l’autre, et tordues, eût-on dit, par les flammes, brûlaient comme une poignée de lys desséchés.

Tout à coup de grands cris montèrent : les hôpitaux provisoires étaient atteints. Les blessés, dont le nombre croissait à chaque instant, se dressaient épouvantés, voulaient fuir. Le colonel Leestmans, blessé lui aussi et qu’on venait d’amener parmi eux, les calma par son sang-froid et son volontaire silence. Heureusement, une colonne d’ambulance approcha, entre deux murailles de feu. Elle ne suffisait pas. Les autos du ravitaillement et des états-majors se précipitèrent à sa suite dans la fournaise. Tous les bras, éperdument, se tendirent vers les sauveteurs. Après un va-et-vient rapide et hardi, on put emporter les blessés sans en perdre un seul. Le colonel Leestmans, tranquille et debout dans ses linges ensanglantés, resta le dernier.

Ce spectacle terrible, ces cris d’horreur, l’incendie dont ils sentaient jusque dans leurs tranchées la brûlure et la cuisson, ne purent décourager les nôtres. Battu, mais obstiné, l’ennemi, toujours repoussé, s’apprêtait à revenir en force. Instruit par les dures expériences du jour et de la veille, il ne s’avançait plus à découvert. On ne voyait plus, à quelque cent mètres, son avancée, qu’aux levées de terre qu’il poussait hâtivement devant lui en rampant sur le sol humide. A la fin du jour, par trois reprises, sortant de ses trous tout proches, en masses de plus en plus épaisses, poussant des Hoch et des Gloria, il voulut sauter dans nos tranchées. A la troisième fois, il réussit, au Sud, devant un bataillon de chasseurs, à percer nos lignes. Mais des fusiliers marins accourant au trot et deux compagnies du 11e venant à la rescousse, baïonnette au canon, clouèrent les assaillans sur le parapet même de la tranchée conquise.

Le premier acte, presque accompli, du drame de Dixmude, allait finir sur un épisode héroïque. Dans la nuit du 21 au 22, à peine minuit sonné, une colonne allemande surgissant tout